La maison de la faim
EAN13
9782889072750
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
Ecrits d'ailleurs
Langue
français
Fiches UNIMARC
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La maison de la faim

Zoé

Ecrits d'ailleurs

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La « Maison de la faim » c’est autant la maison du héros, que le bidonville
dans lequel il vit, son pays, le Zimbabwe, et l’appétit insatiable de vivre,
connaître, apprendre, expérimenter la liberté et surtout creuser la langue. On
pourrait croire que la vie dans un des plus pauvres bidonvilles d’Afrique est
forcément la vie d’un monde de marges. Pourtant, le lecteur français s’y
retrouve. Même sans subir racisme et ostracisme: les rapports humains décrits,
malgré l’extraordinaire violence, la faim, la pauvreté, l’alcool, omniprésents
dans le texte, les rapports humains décrits, eux, sont universaux, aucun
doute. Il y a Peter le frère, Harry le play-boy qui couche avec une blanche et
qui est aussi le frère d’Immaculée, l’épouse du frère et l’amante du narrateur
(vous me suivez ?). Il y a Philip le petit malin et Julia aux énormes seins
recouverts par un T-Shirt estampillé ZIMBABWE. Il y a des morceaux
d’anthologie, des bagarres rabelaisiennes (l’épuisement des combattants est
tel que « les coups sont incapables d’aplatir une boule de crème glacée »), la
soif et son monde labyrinthique. Et la mère en général, sur le sexe en
particulier, qui est extraordinaire. Que l’humour subsiste dans toute cette
débauche de sang, de coups, de boue, d’injustice a quelque chose
d’invraisemblable, mais pourtant bien réel (le fameux pleurer-rire africain
?). Et les différents tons et genres (dialogues, flux de conscience, pamphlet,
pensée araignée, ou encore récit simplement narratif) fonctionnent
parfaitement. La dispute entre le shona et l’anglais m’a bien plu bien sûr.
Intéressant par ailleurs de constater que Marechera est capable d’un discours
finalement féministe (la vie d’une jeune femme noire n’est vraiment pas
simple, voir petit extrait ci-dessous). Avant le roman, il y a une auto-
interview de l’auteur par l’auteur. Il y explique sa démarche, le contexte et
sa langue, c’est passionnant, lisez-le absolument ! Ses influences : Arthur
Rimbaud, T. S. Eliot, Allen Ginsberg et Christopher Okigbo. Si le lecteur se
sent parfois légèrement perdu, il doit, comme dans un livre de Jean-Marc
Lovay, se laisser faire par la langue. La mère sermonne son fils, une battante
sans foi ni loi : « C’est bête comme chou, disait-elle. Tu le plantes dans le
trou entre l’eau et la terre, facile. Elle écarte les jambes et toi tu cales
ton bassin entre ses cuisses et tu frappes ! Juste là entre son eau et sa
terre. Tu frappes ton feu et elle va te prendre en dedans, toi et tes
couilles. Tu vois ? Jusqu’au cou. Quand tu jouiras, tu verras ses yeux
s’embuer. Ne t’arrête pas, continue de creuser. Tu creuses. Tu creuses. Et
elle va t’aspirer tout entier jusqu’aux cheveux sur ta tête. Tu vois ? Bon.
Pourquoi tu ne vas pas en baiser une ou deux au lieu de cochonner mes draps ?
Tu as mis un temps fou à me lâcher les seins, tu as mis un temps fou à ne plus
pisser au lit. Et maintenant tu mets un temps fou à te branler dans une pute.
J’en ai jusque-là de toi, tu comprends ? Jusque-là. Ça doit être à cause de
tous ces stupides livres que tu lis — pourquoi tu continues à lire des livres
alors que tu as fini l’université ? Oui, j’en ai jusque-là. » La mère et le
sexe raconté par son fils : Une nuit j’étais en train de me laisser gagner par
le sommeil quand tout à coup je me suis réveillé en hurlant qu’il y avait un
homme à la fenêtre. Mais elle m’a fait taire puis elle a ouvert la fenêtre
pour le laisser entrer. Il a immédiatement sauté dans le lit, sur elle, tandis
que je me laissais glisser à contrecœur sur le sol de ciment froid. Très vite
un formidable concert de gémissements et de grognements a jailli du lit et
l’énergie qui se dégageait d’eux était comme le poing de Dieu agrippant Satan
au plastron pour le malmener. Leur avalanche a même réussi à réveiller Peter,
qui d’habitude pourtant dormait comme un boa constrictor ayant avalé un
éléphant. Un seul coup d’œil lui a suffi pour jauger la situation ; et comme
une chauve-souris échappée des enfers il s’est jeté sur l’homme, qui sans même
s’arrêter de baiser sa mère l’a mis K-O d’un revers de la main. Trois jours
après, notre père est rentré à la maison. Je n’ai rien dit. Peter la mine
lugubre n’a rien dit. Et notre mère avait l’air de ne penser à rien du tout.
Quand les noirs gagnent leur guerre d’indépendance, ils arrivent enfin au
pouvoir mais… : « Il y a de la merde de blancs dans nos dirigeants et de la
merde de blancs dans nos rêves et de la merde de blancs dans notre histoire et
de la merde de blancs sur nos mains et dans tout ce que nous construisons ou
tout ce pour quoi nous prions. Et même si on s’habituait à la merde, il y
aurait toujours les vendus et les mouchards et les étudiants bêcheurs et les
sales bâtards-de-nouveaux-riches et les punks-je-vis-maintenant-je-pense-après
qui sont tout aussi merdeux que le reste, vieux. Aussi merdeux que de la merde
de blancs. Y a tout un tas de ces bâtards qui traînent à Londres en attendant
de revenir ici pour devenir ministres. » Ça cogne beaucoup, les bagarres sont
rabelaisiennes, juste une phrase piquée dans le texte : « Le coup s’est abattu
sur le garçon comme une pioche dans un gâteau de mariage. » Mais ce ne sont
pas toujours les hommes les plus forts : Une gifle cinglante lui a coupé le
sifflet, et fait monter les larmes aux yeux. Elle a essuyé sa paume terrible
sur sa robe ivoire, comme si la joue de Philip venait de la souiller. Elle
s’est ensuite tournée vers moi, me tendant sa main comme pour me saluer avant
de prendre congé. J’avais à peine avancé la mienne que je me suis retrouvé à
valdinguer à travers les airs, avant de retomber comme une masse à ses pieds.
Je suis resté muet de stupéfaction. (…) Nous avons déguerpi sans demander
notre reste. Ah les héros. Les héros noirs... Les femmes (Marechera, 1978,
Zimbabwe) L’ancienne génération n’était pas en reste non plus. Elle croyait
encore que si on ne battait pas sa femme, cela voulait dire qu’on ne l’aimait
pas du tout. (…) Mais la vie d’une jeune femme n’est vraiment pas simple ; la
vie d’une jeune femme noire. Bombardée tous les jours par une chaîne de
télévision dont le présupposé est que non seulement les femmes noires sont
laides mais aussi qu’elles n’existent pas en dehors de certaines tâches
dédiées comme faire la lessive, récurer les toilettes, polir les escaliers ou
trimer dans un uniforme de nounou. Assaillie quotidiennement par des magazines
qui l’incitent à s’acheter une beauté à l’européenne ; avec des rubriques
conseils regorgeant de pépites du genre : « L’indulgence est la plus grande
des qualités au monde, soyez plus enjouée quand il rentre à la maison avec sa
mine des jours d’orage. » Et les seules fois où l’Herald parle des femmes,
c’est quand — en 1896-1897 — elles mènent un soulèvement contre l’État et que
le peloton armé les regarde passer en les applaudissant, ou quand pour la
énième fois elles sont arrêtées pour racolage dans le notoire quartier de Vice
Mile. Dambuzo Marechera (1952 - 1987) a grandi dans un contexte de
discrimination raciale, de pauvreté et de violence. Etudiant brillant, il se
heurte à ses professeurs au sujet du programme d'enseignement colonial, puis à
l'université de Rhodésie (aujourd'hui université du Zimbabwe), d'où il est
expulsé lors de troubles estudiantins. Au New College d'Oxford, où il est reçu
grâce à une bourse d’excellence, son comportement lui vaut une nouvelle
expulsion. Marechera est mort du sida à 35 ans. Pour Doris Lessing, lire son
œuvre, c’est entendre un cri.
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