La boîte noire

Shiori Itō

Philippe Picquier

  • Conseillé par
    21 novembre 2019

    C'est à New York, dans le piano-bar où elle travaille pour arrondir ses fins de mois, que Shiori Ito rencontre pour la première fois Niroyuki Yamaguchi. Pour cette étudiante en journalisme, c'est une aubaine de pouvoir discuter avec le directeur d'une grande chaîne de télévision japonaise. L'homme est amical, sympathique et lui propose d'emblée de lui obtenir un stage à New York ou Washington si un jour elle en exprime le désir. Elle le revoit deux ou trois fois par la suite et trouve même un stage chez NTV par son entremise. Quand, désargentée mais toujours décidée à devenir journaliste, elle rentre à Tokyo, elle est encore stagiaire, cette fois chez Reuters. Elle se souvient alors de la proposition de Yamaguchi de la faire travailler à Washington et lui écrit un mail. Il répond immédiatement, se montre très enthousiaste et lui fait miroiter un poste de productrice rémunéré et des facilités pour obtenir un visa. Comme il est de passage au Japon, il l'invite pour un dîner de travail dans un restaurant de sushis. Et puis...c'est une douleur atroce qui la réveille. Elle est allongée sur un lit, dans une chambre d'hôtel et Yamaguchi est en train de la violer !

    La boîte noire est le récit circonstancié de ce viol et le long combat de Shiori Ito pour faire reconnaître son préjudice et traduire son violeur devant la justice. Dans un pays où le viol est un sujet tabou, où les femmes préfèrent se taire plutôt que d'affronter la honte, où rien n'est prévu pour renseigner, accueillir, accompagner les victimes, la jeune journaliste est vent debout contre toute une société figée par des lois qui datent du siècle dernier. Elle découvre des notions telles que ''la boîte noire'', le ''quasi-viol'', elle se cogne contre des murs érigés par des hommes pour en protéger d'autres. La police commence par ne même pas vouloir recevoir sa plainte, les médecins ne sont ni renseignés sur les procédures, ni empathiques, sa famille préférerait qu'elle se taise. C'est elle-même qui commence une minutieuse enquête pour le confondre, continuant à communiquer avec lui par mail dans l'espoir qu'il finisse par avouer les faits. Quand un policier, convaincu par les preuves à charge, obtient une arrestation, la procédure est stoppée net par décision d'un personnage haut placé. Il faut dire que la jeune journaliste inconnue se bat contre un homme très en vue. Yamaguchi est le biographe officiel et l'ami du Premier ministre, Shinzô Abe, il peut compter sur des appuis hauts placés, il est presque intouchable, sa parole est d'or, alors qu'elle doit se démener pour prouver ses dires tout en gérant son syndrome post-traumatique. Shiori finit par organiser une conférence de presse où, à visage découvert, elle dénonce l'homme qui l'a violée et qui nie les faits. On lui promet la fin de sa carrière et de toute vie sociale, elle n'en a cure et veut, par son témoignage, venir en aide à toutes les femmes trop honteuses pour parler.
    Son livre n'est pas seulement la simple relation de son cas personnel, c'est une façon de faire bouger les choses, de changer les mentalités et les lois.
    Quand elle l'écrit, deux ans après les faits, elle n'a toujours pas obtenu justice mais l'affaire est toujours en cours. Cela se ressent dans son écriture, le style est distancié, factuel. Shiori Ito se garde bien d'écrire quoi que ce soit qui pourrait être mal interprété ou utilisé par la partie adversaire. Ce sont des faits, rien que des faits avérés. Pas de larmes ou de discours enflammés mais une force hors du commun, un courage exemplaire, une voix dans le silence. A lire.