L'homme des haies

Jean-Loup Trassard

Gallimard

  • Conseillé par
    8 septembre 2012

    Vincent le barbeyeur.

    «Il y a des jours, je m’arrête dans la cour et je regarde, durant que je peux, que je suis encore là. Je me dis en moi-même que je me plais à être dans c’te cour.
    Sûrement là que j’ai appris à marcher, là que je m’amusais en tout cas le jeudi et le dimanche si ma mère n’avait pas d’ouvrage pour moi.
    Et puis après, dame, j’ai travaillé, mais la cour n’a pas changé...»

    C’est Vincent , «Vincent des haies» qui nous raconte.
    Le passé, le présent...même le futur.
    Vinvent, soixante-quinze ans ou plus, a cédé la ferme de la Hourdais à son fils et à sa belle-fille. Il est grand-père.
    Il ne sert plus à grand chose «anhui» (aujourd’hui).
    Ce qu’il aime par dessus tout et puis aussi parce que plus personne ne veut le faire, c’est de nettoyer les haies.
    «A berbeyer (couper herbes et ronces pour nettoyer) avec ma serpe ou ma faucille, je ne fais pas grand bruit. C’est ce qui me plait. J’entends le vent dans la feuille, les cônilles (corbeaux) qui se fâchent, les chiens qui abeuyeunt...les coqs qui chantent. J’écoute les heures sonner au bourg.»

    Ce livre n’est pas nostalgique. Il est très, très, émouvant et les mots du patois mayennais sont de la vraie poésie.

    Vincent raconte la disparition des écrevisses et des vairons dans les ruisseaux : «Ce serait les produits qu’on sème, nous les fermiers, qui s’en vont dans l’eau.»

    L’amour.
    «Avec Suzanne, dans le début elle voulait bien, avant qu’elle ait eu son gars, mais après c’était plus pareil, elle n’était pas souvent décidée. Enfin, des fois tout de même, et puis à vieillir forcément ça devenait rare. J’essayais un petit peu et elle : Vincent, t’es pas fou ? Dans mon idée c’était normal mais pas pour elle !»

    La solitude. Sa Suzanne est déjà partie.
    «Les nuits de tempête, quand on entend la pluie et le vent, c’est agréable de ne pas être tout seul dans son lit, semble que ça rapproche. Ah, des fois l’idée me revient que c’est fini, le moment de vie ne dure pas longtemps, alors, je beune (je pleure) un p’tit qa (un petit peu) et puis je m’endors.»

    Son enfance.
    «On n’avait rien pour l’anniversaire, on n’en causait même pas, et les copains de l’école, je leur demandais, non, ils n’ont rien eu, qu’à Noël et encore pas grand-chose, de qa qui pouvait être utile, une casquette...»

    Le poids de l’église.
    «Pour dire croire, je ne sais pas si j’y ai cru à la religion, étant gosse peut-être bien, c’est-à-dire ils nous faisaient peur, le péché, l’Enfer et que j’seu t’i (et que sais-je), c’est basé sur la peur leur affaire.
    Oh mais, maintenant, ça a bien diminué, ils n’ont plus autant de clients !»

    La mort qui approche.
    «J’ai encore deux tenues en dehors de mon costume noir que je mets pour les enterrements, ah bien oui, en attendant qu’on m’habille avec pour le mien d’enterrement...»

    Je précise que le glossaire du patois se consulte à la fin du livre sans venir encombrer le texte. Certains termes sont faciles à comprendre. On s’amuse à en deviner d’autres.

    «Comme disait mon grand-père : c’est pas celui qui fait le plus de bruit qui est le plus fort!»
    En ce temps trop bruyant et «m’as-tu-vu» de rentrée littéraire, Jean-Loup Trassard nous livre un roman sensible et généreux.

    Superbe !