Une vérité si délicate

John le Carré

Seuil

  • Conseillé par
    24 novembre 2013

    L'espion qui venait... du désert

    Rescapé ! Le mot lui va comme un pull en cachemire afghan. Une enfance ballotée dans des internats grand luxe après que sa mère l’a abandonné à l’âge de cinq ans. Un passage dans les services secrets qui sans doute l’a inspiré. La Guerre froide, dont il a fait son beurre avec succès grâce son héros Georges Smiley. La chute du Mur de Berlin en 1989 qui l’a presque réduit au chômage. Une tentative de reconversion dans des romans « différents ». John Le Carré, qui a tout connu et beaucoup traversé, même le désert, tente de reprendre la main et le train. Avec " Une Vérité si délicate " qui séduit davantage par son humour que par sa trame parfois un peu compliquée, sinon complexe.

    Il y avait au 20e siècle le communisme et sa froideur stalinienne. Voici en ce début de millénaire un nouveau terrain de jeu pour la diplomatie secrète : l’islamisme avec, en tragique arrière plan, les terroristes fous de dieu. Le Carré plonge dans cette nouvelle donne géopolitique comme le dandy revenu de tout qu’il semble devenu à plus de 80 ans. Ce qui l’intéresse dans ce 23e roman, ce ne sont pas les agissements, les complots islamistes et leurs motivations, mais ce qui se prépare comme riposte dans le camp d’en face. Un peu comme s’il voulait disséquer les pratiques, voire les maux de la tribu et ses errements. Tout commence par la préparation de l’enlèvement d’un acheteur d’armes djihadiste à Gibraltar, rocher britannique posé sur le socle espagnol comme un cheveu sur la soupe. Un retraité du Foreign Office est requis pour servir d’ " avertisseur " lors de l’opération menée par un commando anglais et des mercenaires américains. Un jeune diplomate candide, nommé Kit Probyn, attaché auprès du secrétaire d’Etat qui commandite l’opération est sommé d’être le téléphone rouge du politicien. En réalité, le jeune homme est bellement et sournoisement manipulé. L’ayant découvert, il pose un piège et lance sa riposte. Dans ce beau monde, la tribu s’affronte… diplomatiquement, mais, malgré l’humour des échanges, assez cruellement. Visiblement et lisiblement, John le Carré s’y amuse beaucoup, même si la vérité est « délicate » et le pouvoir une sorte de mirage. Le romancier des Cornouailles, qui à la fin prend la peine de remercier ses informateurs, comme le font les grands auteurs de polar américains style Michael Connelly, semble en tout cas bien renseigné sur les guéguerres de pouvoir dans les diplomaties occidentales et notamment à Londres, exactement comme un journaliste d’investigation. Et ce qu’il raconte des pratiques gouvernementales actuelles fait un peu froid dans le dos, même si, on semble l’avoir oublié en 2013, les espions viennent encore et souvent du froid…Etrangement aussi, le français convient parfaitement au propos et à l’humour british de John le Carré. Peut-être parce que la traduction est (bien) assurée par Isabelle Perrin, qui avec sa mère Mimi a traduit tous les livres de l’auteur britannique, depuis " La Maison Russie ". Le dandysme à la John le Carré est aussi, comme la vérité, quelque chose de délicat à présenter et à déguster.

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