Histoire des médias
EAN13
9782200244330
ISBN
978-2-200-24433-0
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
DD.HISTOIRE
Nombre de pages
396
Dimensions
24 x 16 cm
Poids
440 g
Langue
français
Code dewey
900
Fiches UNIMARC
S'identifier

Histoire des médias

Armand Colin

Dd.Histoire

Indisponible

Autre version disponible

Document de couverture : Montage photographique de Louise Merzeau.

© Armand Colin/S.E.J.E.R., 2003, pour la présente impression

© HER/Armand Colin, Paris, 1996, 2000

© Armand Colin, 2010, pour la présente impression

Armand Colin• 21, rue du Montparnasse• 75006 Paris

9782200246006 — 1re publication

Avec le soutien du

www.centrenationaldulivre.frCOLLECTION U • HISTOIRE

PREMIÈRE PARTIELa « seconde révolution du livre » (1751-1870)

Chapitre 1La librairie d'Ancien Régime (1751-1790) : le modèle français

À l'époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l'encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries...

Honoré de Balzac,Les Illusions perdues.

La compréhension des phénomènes qui, pour la seconde fois après Gutenberg, transforment l'économie des médias à partir des années 1760, amène à proposer un tableau rapide de la librairie d'Ancien Régime, qui permette de faire ressortir les voies d'ouverture, et, à terme, la logique de dépassement et de destruction des systèmes anciens1.

D'entrée, il faut insister sur la très longue durée des évolutions, caractéristique de cette « histoire du troisième niveau » que constitue l'histoire des cultures et des pratiques culturelles. Le modèle des Lumières, qui triomphe au milieu du XVIIIe siècle, se place dans la stricte continuité par rapport à la rupture intellectuelle principale, celle des années 1630. Le XVIIe siècle avait en effet porté à son terme le long travail de rationalisation engagé, en fait, depuis le Moyen Âge et la philosophie scolastique : le projet intellectuel « classique » combine recherche de la rationalité, définition des conditions de fonctionnement de l'esprit scientifique, sécularisation de fait de la connaissance et liaison directe entre les applications de celle-ci et la condition matérielle de l'homme. La connaissance est objective et, donnée par le travail de la raison humaine, elle détermine en retour les conditions d'un progrès devenu possible. En revanche, les faits de croyances et d'opinion échappent aux catégories du nouveau jugement scientifique. La révolution intellectuelle ne touche d'abord que quelques milliers d'individus en Europe – la République des lettres.

Parallèlement, et même si l'économie du livre ne se modifie en définitive qu'assez peu, l'évolution des textes, des lectures et des pratiques qui s'organisent autour de l'imprimé, témoigne d'un processus général d'ouverture. La multiplication de nouveaux titres de périodiques, des cabinets de lecture et des sociétés savantes de toutes sortes, illustre la demande nouvelle qui s'impose peu à peu. À terme, les processus d'acculturation et d'appropriation font masse : d'où l'émergence d'une autre problématique, à laquelle les Lumières seront incapables de répondre, et l'engagement d'un autre processus, celui des nationalités et de la, puis des révolutions politiques. On voit comment l'équilibre atteint par un certain système (ici, celui des Lumières) contient déjà en lui-même la logique de son propre dépassement et, à terme, de sa destruction.La librairie traditionnelle

L'Ancien Régime typographique : la formule met bien l'accent sur les pérennités d'un système économique et culturel de l'imprimé qui, peu ou prou, s'étendrait des premiers successeurs de Gutenberg – dans les années 1500-jusqu'au début du XIXe siècle. Cette logique d'Ancien Régime est caractérisée par trois éléments principaux.Un marché fermé

D'abord, sur le plan de l'économie proprement dite, c'est la conception d'un marché économiquement fermé, ou qui du moins ne serait susceptible que d'une expansion très limitée. Par la suite, les modifications techniques apportées pendant pratiquement trois siècles à la presse typographique restent très peu nombreuses : une machine en bois, mue par la force humaine, et dont la productivité est réduite2. L'atelier typographique est une affaire de famille, fonctionnant par autofinancement, et où le problème principal est celui de la succession d'un maître imprimeur à l'autre.

Dans cette structure, les fonctions professionnelles s'organisent selon une typologie simple. D'un côté, le maître-imprimeur, travaillant à la commande, de l'autre, le libraire de fonds, propriétaire des titres à publier, pour lesquels il a obtenu la cession de l'auteur et un privilège des autorités : il publie, de manière plus ou moins régulière, des catalogues de fonds qui servent d'instruments de travail pour les autres professionnels et pour la clientèle. En ce qui concerne la diffusion, le modèle de la librairie proprement dite semble le plus rare. L'étroitesse des marchés et l'impossibilité matérielle de dominer des espaces plus vastes amènent nombre de professionnels à combiner les activités . En France, la plupart des imprimeurs de province sont donc également libraires, et le libraire de fonds est généralement aussi un libraire de détail ou d'assortiment, tandis que les circuits parallèles prennent progressivement plus d'importance. Livres et imprimés sont vendus par le biais de marchands non spécialisés, colporteurs, étaleurs, ainsi que par certaines personnes privées, enseignants, etc. Enfin, les pratiques professionnelles de cette librairie d'Ancien Régime privilégient les procédures ne nécessitant pas de capitaux : les manuscrits ne font que très rarement l'objet d'une transaction financière, et la cession de titres de fonds suit de préférence des procédés dérivés du troc.Une logique corporatiste

Le second élément réside dans la domination d'une logique corporatiste : imprimeurs typographes et libraires de fonds ou d'assortiment sont organisés en corporations, qui, en échange de leur travail, et de l'autocensure qu'elles exercent sur la branche, sont bénéficiaires d'un privilège d'exclusivité de la part des autorités (imprimeur du roi, etc.) : l'entreprise et la psychologie de l'entrepreneur restent presque nécessairement étrangères à ces logiques, alors même que se font sentir les prémices de la révolution des techniques.

Les effets du numerus clausus se révèlent pourtant favorables, notamment dans le monde des imprimeurs : les titulaires des principaux ateliers tendent, au XVIIIe siècle, à s'imposer comme des notables, à la fois par leur fortune et par leur statut social. Ainsi, à Valenciennes, les Henry sont apparentés à nombre de familles participant au Magistrat A contrario, la réussite de ces anciennes dynasties est démontrée par le fait que plusieurs de leurs représentants seront, sous la Révolution, contraints à l'émigration. Les pouvoirs établis trouvent également leur intérêt bien compris à ce système de contrôle : en limitant le nombre des imprimeurs professionnels, le pouvoir assure à chacun un privilège d'exclusivité. En garantissant, par des charges d'imprimeurs officiels, un minimum de revenus, il renforce la convergence d'intérêts avec les professionnels qui, en retour, sont tout prêts à exercer une forme de surveillance et d'autocensure sur les activités de la branche. Assurés d'avoir de quoi vivre, ceux-ci se détournent des travaux interdits et ont naturellement tendance à protéger leurs propres privilèges en surveillant les activités d'éventuels nouveaux venus.

Abrités derrière des privilèges soigneusement protégés, produisant pour un marché limité, mais pratiquement captif, des livres relativement chers et à petits tirages (un best-seller comme l'Encyclopédie n'est donné, pour la première édition in-folio, qu'à 4 000 exemplaires), les grands libraires français, surtout parisiens, ne s'intéressent que peu à de nouveaux types de spéculation. Malgré ses opinions « philosophiques », le Lillois Jean-Baptiste Joseph Henry écrit, en 1770, à ses correspondants suisses qui lui proposent des livres interdits :

Il ne nous est pas possible de recevoir des articles d'un certain genre. D'ailleurs, je vous avouerai, Messieurs, que les dangers, les pertes et les tracasseries que l'on essuie en se chargeant de certains livres me dégoûtent de ce commerce, quoiqu'il soit conforme à ma façon de penser. Mais une maison un peu faite doit préférer la tranquillité à des bénéfices hasardeux...3

Censure et privilèges étendent cette logique du côté des libraire...
S'identifier pour envoyer des commentaires.