Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

Le Livre de poche

9,40
24 janvier 2021

« Elle voudrait leur dire comme la vie est rapide, ce n'est qu'une flèche, brûlante et fine, la vie est un seul rassemblement, furieux et miraculeux, on vit on aime et on perd ceux que l'on aime, alors on aime à nouveau et c'est toujours la même personne que l'on cherche à travers toutes les autres. »

Quinze jours avec Bakhita. Ce livre est dans ma bibliothèque depuis deux ans. Parfois, les biographies me font peur. Peur de trahir un substrat historique mais Véronique Olmi, que je lis pour la première fois, m'a totalement emportée dans la curiosité mobile de cette fillette née au Soudan, devenue esclave et religieuse en Italie. En Sicile, nous connaissons bien la soeur noire, comme Sainte Sara chez les tsiganes. Je craignais la description d'une violence faite à l'enfant mais l'écriture est subtile pour décrire l'indicible. Pour apprivoiser la peur, l'enfant se force à regarder la vie devant elle. L'abnégation de Bakhita est grande devant les êtres faibles, ses maîtres, qui en veulent à ceux à qui ils doivent beaucoup. La vie de Bakhita est une vie qui se vole, une vie qui s'achète et s'échange, une vie qui s'abandonne dans le désert, une vie sans même savoir comment on s'appelle. La douleur est une pluie glacée qui s'abat sur la vie de Bakhita. Elle écoute sa force et grandit. Elle s'entoure d'enfants car, comme elle, ils se font comprendre avec un langage de peu de mots et cherchent leur place. Elle ne lâche jamais la main d'un enfant. Elle est noire comme une nuit douce Bakhita. Sa vie est simple mais ses souffrances passées n'ont pas de mots. Bakhita aime être avec les enfants et les jeunes filles, parce qu'elle aime être avec ceux qui commencent. C'est une reconnaissance sans hiérarchie pour celle qui se demande si l'on peut être libre un jour quand son corps est noir.
C'est une lecture coup de coeur.

28 octobre 2020

Cette collection " d'une seule voix" propose des textes courts mais souvent très intenses. C'est une claque à chaque fois.

Ce titre de Malin Lindroth, traduit du suédois par J. Robnard m'intriguait puisqu'il était question d'un lourd secret, difficile à avouer.

J'ai lu également qu'il avait été censuré dans certaines bibliothèques ( à vérifier ) car l'aveu était trop choquant. Du secret, je ne dirai rien.

En revanche, je peux dire que ce texte parle d'une jeune fille qui au sein d'une classe paraît insignifiante. Celle qui n'appartient pas à la tendance, que l'on oublie facilement, dont on se moque trop souvent.

La moquerie sera pernicieuse, insidieuse et monstrueuse. C'est l'histoire de Suzy P. On va lui tendre un piège. On la prend pour une poupée de chiffons, celle qui ferait tout pour être aimée.

" On trouvait que c'était une idiote. Une grande idiote qui n'avait qu'à s'en prendre à elle-même. Il faut avoir conscience de qui on est et savoir rester à sa place. C'était bien avant que je comprenne jusqu'où un être humain est capable d'aller...jusqu'où une fille peut dégringoler pour se sentir...oui, aimée. "


C'est un livre essentiel, j'aurais aimé le lire à l'adolescence. Bien entendu, c'est choquant, bien entendu, ce livre bouscule. Mais c'est un texte essentiel car il soulève plein de questions sur les regrets, les remords, la bêtise humaine et l'amour. Une sorte d'amour, celui qui aveugle.

Éditions de l'Observatoire

17,00
11 octobre 2020

C’est l’histoire de Célian et sa maman. Le jeune garçon ne se sent pas bien à l’école. Il se passionne pour tout mais surtout par ce que les autres enfants de son âge n’aiment pas forcément. Il interroge le monde incessamment. C’est un haut potentiel. « […] un surdoué ce n’est pas quelqu’un de plus intelligent mais quelqu’un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui interroge sans cesse le récit collectif, inepte, factice. »
Sa maman est blessée par Pierre, l’homme qu’elle aime.
« Cet homme indéchiffrable aux cent visages s’était pourtant montré parfois sans masque. Au tout début de notre liaison, une nuit Pierre m’avait raconté un épisode marquant de sa jeunesse. Il m’avait dit: « À toi je me suis confié comme jamais », et avec beaucoup de naïveté j’avais pris cette confidence pour une marque d’amour. Ce drame qui me l’avait rendu si attachant expliquait les mensonges, le besoin de fictions : depuis toujours Pierre n’écrivait que pour suivre ses ombres. C’est cette fêlure qui nous avait rapprochés. Nous nous étions reconnus, nous qui, derrière un même élan apparent, avancions dans la vie entravés par les spectres de notre passé. »
Mary doit aider son fils à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu’elle ne devienne obsessionnelle. On a tôt fait, surtout les idiots, de parler de névrose. Il faut apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s’en aliéner, et en faire une liberté. Elle décide de partir avec son enfant dans une île légendaire de la mer Baltique, sur les pas de Tycho Brahe. A la Renaissance, l’astronome redessina la carte du ciel depuis l’île.

« Il a suffi que je pénètre dans ces bois scandinaves pour que tous les habitants qui peuplaient ma forêt renaissent sur mes pas: le garde-champêtre taiseux, la mare grouillante de vies minuscules, le martellement des geais et les cris des hulottes...Comme cette pensée a passé vite, recouverte par le désenchantement, les épreuves précoces. Ou peut-être pas. Peut-être que ce paradis perdu est toujours en moi. Peut-être que c’est là que j’habite pour toujours. »
Sur cette île, la mère et l’enfant progresseront et se relèveront. Un endroit en marge du temps et des hommes où l’on peut s’affranchir des vieilles blessures. Elle apprend à oublier l’étrangeté de cet homme qui se tient au bord de l’amour comme un échassier au bord de l’eau. Elle accepte peu à peu, enfin, qu’il n’y ait aucune explication à cet abandon brutal, à la confiance trahie.

« Pierre me laissera toujours seule avec ces vérités qui se dérobent. » « Au fond, ce qui nous a séparé avec Pierre n’est peut-être pas tant le doute ou le manque d’amour que la confrontation, si différente pour chacun de nous deux, à la perte et à la souffrance. »

Dans le miroir embué des relations aux autres, l’enfant grandit. Les passions déchirées s’oublient. Les derniers liens d’affection se coupent pour revenir à l’essentiel, le temps de l’enfance. Ensemble, ils feront leurre de la mémoire en convoquant Proust « pour atteindre à l’indifférence, il faut traverser en sens inverse tous les sentiments. » Le progrès de l’oubli est irrégulier mais à l’instar de ce grand danois réfugié en haut d’une tour, ils savent tous les deux que ce sont « les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence. »
Petit à petit, pour Célian lorsqu’il ferme les yeux ce n’est plus le néant comme avant. « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves » selon Shakespeare.

Il me fut difficile de quitter l’errance intérieure de ces personnages. L’inquiétude maternelle comme un frêle duvet de mots suspendus sur l’île où l’on se reconstruit et la beauté infinie de la rêverie de l’enfant sont les leitmotivs d’un texte d’une grande beauté. La relation à l’enfant est celle qui m’a le plus touchée, plus que celle de la fin d’un amour, dont on se remet toujours.

29 septembre 2020

Alice attend Rachel au parc pour jouer. Elle voit bien Amin, le garçon de son école mais elle joue avec les filles pas avec les garçons. Rachel lui propose de rejoindre Amin mais il est un peu réticent au début à se joindre aux filles. Et puis, ils trouvent un escargot mais malheureusement leur compagnon de jeu est écrasé. L'heure est au conciliabule face à la mort. Tout à coup, les filles oublient les principes d'égalité et suggèrent à Amin de s'occuper du mort, c'est la tâche des garçons de toucher l'escargot. Amin dit que la toilette des corps revient aux femmes quand la personne morte est une femme. Mais l'escargot, c'est un garçon ou une fille? Et puis quelle prière fait-on quand on s'appelle Amin? Quel rituel choisit-on quand on s'appelle Rachel? Et Alice aussi elle ne mange pas de porc? Les trois enfants réalisent tout à coup que leur différence n'est pas seulement celle du sexe. Est-il fort ou faible? Et c'est possible d'être catholique juive? Et Alice qui se demande ce que l'on est quand on n'est pas catholique. Le temps d'un Savane partagé, les enfants apprendront les coutumes de chacun. Ils apprennent surtout à s'écouter et à se regarder. Et puis , Alice elle touchera les cheveux drus d'Amin. La délicatesse de son geste montre l'acceptation des trois enfants pour ce qui est autre. Chacun mettra un petit caillou, une fleur ou une croix sur la tombe de l'escargot. L'hermaphrodite permet de dire ce qui est et pas seulement ce qui doit être. C'est un petit livre qui a pris partie de tout dire et met en avant le refus immédiat puis le dialogue possible. C'est un petit livre qui autorise l'échange. Il n'est pas rempli de niaiseries ou de bons sentiments, tu sais dans ce livre les mamans ne sont pas toujours disponibles, elles sont plongées dans un livre au parc, elles soufflent un peu. Dedans, tu trouves des enfants tels qu'ils sont: bons et mauvais à la fois, capables d'aimer et de haïr, capables de jalousie et même de férocité. De vrais enfants. J'aime bien quand la littérature jeunesse ne fait qu'un avec la vie. C'est un petit livre précieux pour chasser les phrases " moi mon père [y] dit que". Les enfants sont des êtres doués de raison. Aider les enfants à prendre conscience d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, répondre à leurs questionnements intérieurs, c’est le soin que nous leur devons, les passeurs de mots.

20 histoires mythologiques dont on parle sans le savoir

Casterman

12,90
29 septembre 2020

Tout récemment est sorti un livre Dynamythes écrit par Annelise Heurtier et illustré par Benoit Perroud. Le titre secoue le côté poussiéreux des récits antiques et les petits dessins aux couleurs fluorescentes dynamisent le tout. Le principe est de partir des expressions utilisées dans le quotidien et faire l’écho des récits mythiques originaux. Des expressions comme « le nombril du monde » , « une pomme de discorde », « des paroles sibyllines »...pour chacune d’elle, Annelise Heurtier introduit son propos avec beaucoup d’humour. Puis , un bref portrait des héros mythiques contextualise la narration. Les narrations sont variées pour chaque expression, tantôt sous la forme théâtrale ou d’une interview, d’une anecdote ou d’un récit un peu plus dense. Quelques apartés comiques et d’actualité permettent à l’enfant ( et aussi à la maîtresse) d’apprendre de manière ludique. C’est plein de pep’s, vif et instructif.
Ce que j’aime particulièrement c’est l’élargissement aux arts visuels. Pour chaque expression, quelques pistes de représentation artistiques sont proposées. J’aime beaucoup le va-et-vient que ce livre permet entre la mythologie, le registre de langue actuel et les arts. Et pourtant ce livre ne s’apparente pas à un manuel scolaire car il est dynamique dans sa forme et son propos.