Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

15,00
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23 septembre 2015

En préambule, je dois dire ici que je pense beaucoup de bien de Mikaël Hirsch. J'ai lu ses quatre précédents romans : Le Réprouvé, Les Successions, Avec les hommes, Notre-Dame des Vents et à chaque fois j'ai été enchanté. Libertalia ne déroge pas à cette règle et dès le début, je suis resté scotché par les phrases magnifiques de l'auteur ; la présentation de Baruch et d'Alphonse par exemple qui tient en deux paragraphes, simples :

"Il se prénommait Baruch, comme Spinoza dont il ignorait tout et se nommait Lehman, comme son père Nathan, marchand de céréales à Fegersheim à l'époque où celle-ci n'était pas encore une banlieue-dortoir de Strasbourg, mais une petite commune agricole des bords de l'Ill. Migrant vers l'intérieur, il traînait dans un grand sac de cuir quelques sauf-conduits rédigés en lettres gothiques et du linge immaculé que lui avait donné sa mère.

C'est en 1872, peu avant Belfort, sur une route accidentée et longeant une forêt de hêtres, à hauteur de Rougemont-le-Château, que Baruch Lehman rencontra Alphonse Muller, dit Fons. Celui-ci avait lu Proudhon, se disait anarchiste, avait exercé la profession de géomètre auprès d'un notaire de Mulhouse et se trouvait assis, au bord du chemin, sous un ciel changeant qui annonçait l'orage." (p.9)

Ainsi donc commence cet ouvrage. Comment résister à poursuivre et surtout pourquoi, puisque les phrases suivantes seront au moins aussi belles et tentatrices ? Un style littéraire hors du temps, une référence assumée -je pense- aux auteurs du dix-neuvième, juste un peu avant ou totalement contemporains à l'époque dont parle Mr Hirsch, Flaubert, Balzac et surtout Stendhal. Un réel plaisir, un régal assuré.

Et l'histoire maintenant ? Eh bien, à l'instar de Stendhal, elle se déroule lentement, sans cesse coupée par des descriptions splendides, des rappels historiques, et de multiples faits, toujours en lien avec la vie des deux héros. Baruch, devenu Bernard pour ne pas être doublement stigmatisé par ses origines alsaciennes et juives, devient l'un des principaux chefs de chantier de la Statue de la Liberté construite par Bartholdi avant d'être envoyée aux États-Unis. Il s'établira à Paris, épousera Rachel et fondera une famille. Fons deviendra géographe, franc-maçon, associé aux missions menées par Ferdinand de Lesseps avant le perçage du canal de Panama, ira partout dans le monde pour cartographier tel ou tel pays ou région. Mais chacun garde en tête Libertalia, cette colonie malgache.

Ce roman est celui de la quête éperdue de la liberté dans une époque en pleins bouleversements : l'avènement de la République, la reconstruction du pays après la guerre, la construction de quelques édifices importants (Statue de la Liberté, Tour Eiffel, le Sacré Cœur construit pour expier les crimes des communards, ...), la transformation de Paris (Haussmann vient tout juste de finir son travail commandé par Napoléon III), le désir des colonies : l'empire colonial français est quasiment à son apogée, il y a donc beaucoup à faire et à prendre dans ses terres lointaines, ...

"Et si la liberté n'était finalement pas une idée, mais bel et bien un endroit..." m'a écrit Mikaël Hirsch en dédicace, c'est exactement cela que Fons et Bernard vont chercher toute leur vie au risque de passer au travers de ce qu'ils vivent au quotidien, de ne pas y trouver leur bonheur -mais est-il un endroit lui aussi ?

Je pourrais encore parler de ce roman des heures tant il est dense : 140 pages qu'il ne faut pas lire trop vite, de peur de perdre le fil mais surtout pour ne pas rater un mot -aucun n'est superflu-, une phrase ou une tournure qui, personnellement, me font un bien fou et me plaisent de plus en plus à chaque livre de Mikaël Hirsch. Un auteur à lire absolument si vous ne l'avez point déjà fait ou à relire si vous avez déjà goûté à sa prose.

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23 septembre 2015

Court roman qui s'il ne tient pas réellement les promesses de la quatrième de couverture ("coup de cœur assuré") ne déçoit pas vraiment non plus. Disons qu'il est très agréable à lire, qu'on sourit souvent, qu'on frémit aux descriptions des conditions de vie en prison, mais que ce n'est pas le chef d'œuvre de cette rentrée littéraire. On passe un bon moment et c'est déjà un très bon point pour un livre. Que me restera-t-il de ma lecture dans quelques semaines ? Je n'en sais rien, mais je ne parierai pas sur des souvenirs vivaces.

Le gros point positif de cet ouvrage est son ton moderne et drôle, même les plus grands malheurs de cet homme sont racontés avec humour. Il a pas mal de recul sur sa vie, son œuvre, pour preuve l'extrait qui suit, un dialogue entre lui et Coloc lors de leur visite de la bibliothèque de la prison :

"Hé hé, les bouquins que tu écris, ils les ont peut-être ici. Ça serait marrant.

- Ça serait marrant mais ça m'étonnerait beaucoup. Je ne suis pas assez connu. A la FNAC, ils me mettent sur les étagères du bas, pas sur les tables avec les best-sellers.

- Si t'es condamné, ça te fera de la pub ! Toutes les bibliothèques des prisons voudront les avoir en rayon !"

Sûrement. Le succès, à quoi ça tient..." (p.84)

Le seul point qui pour lui ne peut prêter à l'humour c'est sa femme, l'amour qu'il a pour elle et sa peur de la perdre. Il subit, il subit, jusqu'au jour où...

Pas inévitable, mais si vous avez un petit coup de blues avec des lectures plombantes ou un besoin absolu de rire un peu, n'hésitez pas, deux à trois heures de lecture vous suffiront pour lire l'entièreté de ce roman et pour retrouver le sourire.

PS : le plus drôle, encore que je ne sais pas si ça l'est vraiment, Madame Yv vient tout juste de s'inscrire au Tai chi (mais elle n'a pas lu le livre)

Naomi FONTAINE

Serpent à Plumes

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23 septembre 2015

Premier roman de Naomi Fontaine qui raconte son peuple, son enfance dans la réserve canadienne des Innus. Kuessipan qui en innu, signifie "à toi" ou "à ton tour" est publié au Canada en 2011 par Mémoire d'encrier.

L'ouvrage se présente comme une suite de tous petits textes, les plus longs font cinq pages et les plus courts une demie-page. Le livre est très court, à peine plus de cent pages, qui se lisent en prenant son temps. D'abord pour bien saisir et relier l'ensemble car c'est le lecteur qui fait le travail de boucher les trous : Naomi Fontaine va à l'essentiel, son texte est épuré, tout est dit mais il faut parfois deviner, faire appel à ses connaissances pour que tout se mette en place, c'est du moins comme cela que j'ai lu ce livre, et j'ai trouvé que c'était une démarche très agréable, je ne suis pas resté passif mais j'ai participé activement à ma lecture grâce à l'intelligence que me prête l'auteure -bon, parfois, je dois bien avouer qu'elle m'en a prêté un peu trop et que j'étais perdu. Ensuite, parce qu'il peut être bon de ne pas tout le lire d'un coup, profiter d'un temps d'infusion avant de s'y replonger : c'est un livre qui doit se déguster et qui agit encore après qu'il soit fini. Et enfin, parce que le lire trop vite serait une offense faite à la qualité de l'écriture. Les textes les plus longs sont descriptifs, s'attardent sur les lieux, les personnages, jamais nommés sauf par leur fonction (grand-mère, mère, ...), les conditions de vie ; les textes plus courts sont plus introspectifs, plus forts, parfois il faut les lire comme de la poésie en prose, ce sont ceux qui m'ont le plus touché.

On sent dans le roman de Naomi Fontaine tout l'amour qu'elle a pour son peuple malgré les ravages de l'alcool et de la drogue parmi les hommes ; les femmes en sont la fierté, la clef de voute, elles sont dignes et respectables bien que leurs conditions de vie soient particulièrement difficiles.

La force de ce livre, c'est que malgré un format court, un style épuré, l'auteure réussit à faire passer les émotions et les sentiments, elle en fait naître également. Pour finir, je citerai juste l'un des passages qui m'a le plus emballé, espérant qu'il en sera de même pour tous les lecteurs :

"Pourquoi. La nuit, elle dort d'un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur de sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu'un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.

Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.

Le silence. Je voudrais écrire le silence." (p.15)

Roman improvisé, interruptif et pas sérieux

Les Éditions Noir sur Blanc

18,00
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31 août 2015

Beaucoup de trouvailles, de (ré)-inventions, de jeux avec les mots, avec la typographie, la mise en page pour ce roman de Sophie Divry. J'écris (ré)-inventions car dans une post-face intitulée Bonus, l'auteure met en copie une lettre adressée à la responsable d'une résidence d'écrivains dans laquelle elle cite Laurence Sterne, et, renseignements pris, je sais désormais que ledit Sterne (1713/1768), romancier et ecclésiastique a beaucoup joué avec la typographie et la mise en page. Pas facile de décrire les différents jeux avec les lettres, les calligrammes, mais sachez qu'il rajoutent une touche de plaisir de lecture et d'humour. Car ce roman, même s'il traite d'un sujet malheureusement banal et loin d'être drôle, l'est tout de même. D'abord dans la forme avec donc la mise en pages, mais aussi avec des néologismes notamment ceux qui servent à introduire une parole de la mère de Sophie : "s'exclamaugréa", "continunia", "intervindica", "articulâcha", "ajoutacla", ... ça nous change des sempiternels et inévitables, "dit", "répondit", "s'exclama" et c'est plus joli.

Sophie Divry écrit là un roman dialogique (merci les Bonus, je ne connaissais pas le terme), qui fait presque penser à de l'improvisation, comme si l'auteure nous racontait en direct son histoire avec les multiples digressions, parenthèses, délires ; tous ne sont pas drôles ou percutants, mais à chaque fois, l'originalité, le ton résolument joyeux, le décalage emportent l'adhésion du lecteur. Il arrive également qu'à l'instar du film de Philippe de Broca, Le Magnifique -avec bien sûr Jean-Paul Belmondo et Jacqueline Bisset-, un personnage croisé se retrouve dans un des délires de Sophie. De même les personnages, Hector, par exemple peuvent intervenir dans la mise en page du roman, exigeant une police de caractère et une scène particulières.

J'ai beaucoup parlé de la forme et le fond, me demanderez-vous ? Eh bien, j'ai apprécié également l'humour qui court tout au long du livre, les réflexions parfois très premier degré de tel ou tel intervenant, mais aussi les coups de gueule de Sophie sur le port du voile, sur le harcèlement au travail, sur la peur de l'autre qui dérive très vite vers la haine de l'autre, sur la difficulté de vivre avec les minimas sociaux, la honte d'en dépendre, ... Elle parle bien aussi de l'enfance qui s'en va, de la vie de famille, Sophie est issue d'une famille de sept enfants -comme moi !-, et les fêtes familiales sont toujours de très bons moments où chacun fait attention à l'autre et laisse au vestiaire ses soucis et ses opinions tranchées.

Belle écriture, qui joue avec les niveaux de vocabulaire, les répétitions, les longueurs de phrases, les références ; Sophie Divry use de la virgule, du point virgule, du "bital et monocouille", selon Pierre Desproges, point d'exclamation, ose les longs catalogues de comparaisons, de métaphores, ... sans que cela ne soit dérangeant, au contraire.

Ma première lecture de cette auteure, qui, vous le comprenez, me laisse un excellent souvenir, je suis sous le charme et encore tout heureux. A priori, très différent de son roman précédent, La condition pavillonnaire, qui me tentait bien, dans un genre plus dramatique. Un roman à lire absolument si vous voulez sortir de la banalité et qui je l'espère aura un bel écho au sein de cette rentrée littéraire. En plus, Notabilia est une très belle collection chez Noir sur blanc et la couverture est une réussite, à la fois voyante et sobre.

18,90
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31 août 2015

Bouleversant ai-je lu sur un réseau social avec un petit oiseau bleu. Que dire de plus ? Ce roman est véritablement bouleversant. Il se passe en 1992, on est donc encore très loin des bateaux qui s'échouent au large de Lampedusa ou des migrants qui siègent à Calais en espérant un passage vers l'Angleterre, mais chaque histoire est individuelle et ressemble sans doute à beaucoup de titres à celles des quatre clandestins de ce livre. Je ne vais pas raconter ici ce qui les a menés à quitter leurs pays, la misère, la guerre, les massacres, tout cela P. Manoukian le fait très bien et c'est poignant parfois même à la limite du soutenable, mais c'est malheureusement le quotidien de certains. Tous sont attirés par l'occident, par nos richesses et nos facilités de vie, Virgil le dit très bien à un syndicaliste venu leur expliquer le droit du travail français : "Même ce qui semble terne chez vous brille à nos yeux ! Plus vous vous rendez la vie belle et plus vous nous attirez comme des papillons. Et ça ne fait que commencer, nous sommes les pionniers, les plus courageux. Vous verrez, bientôt des milliers d'autres suivront notre exemple et se mettront en marche de partout où l'on traite les hommes comme des bêtes. Il n'y aura aucun mur assez haut, aucune mer assez déchaînée pour les contenir. Parce que ce qu'il y a de pire chez vous est encore mieux que ce qu'il y a de meilleur chez nous. Vous n'y pouvez rien, croyez-moi, ce qui vous gratte aujourd'hui n'est rien à côté de ce qui vous démangera demain." (p.268)

Après la lecture de ce roman, on ne peut plus croire si tant est qu'on y croyait avant, que c'est par plaisir que les candidats à l'exil viennent clandestinement en occident. Lorsqu'on lit le calvaire de leur voyage, les méthodes inhumaines employées par les passeurs qui se font payer cher, et le cauchemar de leurs conditions de vie et de travail lorsqu'ils en trouvent : les employeurs des clandestins sont de véritables négriers et leur manière de choisir tel ou tel ouvrier se rapproche des marchés aux esclaves.

Ce n'est pas un roman que l'on lit pour se détendre, néanmoins, parce qu'il ne peut pas ne pas y avoir une once d'espoir, un minuscule ilot de bonheur dans un tel malheur, Pascal Manoukian ose intégrer une famille de Français pleine d'amour et d'envie d'aider son prochain. Cela ne suffira peut-être pas, mais Virgil, Assan, Iman et Chanchal profitent de toutes les minutes, de chaque seconde d'icelles, comme si elles ne devaient pas se renouveler.

Un roman magnifique, fort et poignant. Bouleversant disais-je en entrée d'article. Je confirme, bouleversant.

A rapprocher de l'excellent film passé récemment sur Arte je crois, La pirogue, de Moussa Touré.

A noter pour finir que Pascal Manoukian est un journaliste, spécialiste des zones de conflits et qu'il a déjà écrit un témoignage sur ses années de guerre : Le diable au creux de la main, paru en 2013 chez Don Quichotte.