Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Bosco, Jacques Olivier

Jigal

Conseillé par
17 novembre 2014

Je suis un peu sec à l'heure d'écrire mon article, parce que dans la rapidité de l'action, je n'ai noté aucune page, aucun extrait à citer, qui souvent m'aident à me structurer. Je n'ai pas eu le temps. Car même moins rapide, ce roman de JOB est du style de ceux qu'on ne lâche pas, diablement efficace.

Un polar de Jacques-Olivier Bosco (JOB) c'est d'abord du rythme (cf. Le Cramé, Aimer et laisser mourir, Loupo). Mais cette fois-ci, le rythme s'il est toujours présent est moins haletant, le romancier prends plus son temps pour installer une histoire, des personnages, un scénario. Ça va très vite au départ, très vite à la fin, et entre les deux, chaque protagoniste a droit à un traitement de faveur. JOB alterne les points de vue. Chaque chapitre est la vision d'un parent, d'un enfant, d'un gangster sur l'affaire en cours mais aussi sur les événements qui les ont amenés jusqu'à celle-ci. Beaucoup d'intervenants, mais chacun est bien identifié et aucun risque de se perdre entre eux ; moi qui ai du mal avec les romans aux multiples personnages, ce ne fut pas le cas ici, et même cette profusion sert le récit, permet d'en apprendre un peu plus par divers canaux. Chaque personnage bénéficie d'une description physique et psychique, même les moins exposés. Ils viennent de tous horizons, ont eu des parcours chaotiques ou de privilégiés. L'enfance et l'éducation qu'on a reçue sont primordiales pour notre vie d'adulte. Le ressort de l'enfance malheureuse est souvent exploité dans les romans ou les films policiers, pour faire de tel ou tel personnage un monstre. JOB parle aussi des enfants maltraités et des conséquences sur leurs vies d'adultes, sans pour autant que l'on excuse leurs comportements ; ce sont des explications, des circonstances atténuantes qui peuvent éclairer un comportement, des pulsions. Mais il a aussi l'intelligence de mettre en face des adultes de bonne éducation, qui par leur agissements, leur ambition, leur égoïsme font autant de mal aux autres. Pas de manichéisme donc, un peu de stéréotypes, mais il en faut pour forger des personnages puissants, des traits de caractère forts.
Si ce roman est moins rapide que les autres du même auteur, il n'en reste pas moins que l'action est bien présente, souvent violente. Pas de chichi, JOB ne fait pas dans le délicat et le thé servi à 17h avec le petit doigt en l'air. Ça crashe, ça explose, ça canarde, ça frappe. Mais rien n'est gratuit, ce n'est pas de la violence pour le plaisir de la décrire, d'ailleurs les amateurs d'hémoglobine seront déçus, car elle ne dégouline pas des pages. Moi, je suis ravi, parce que je n'aime pas le rouge sang à toutes les pages. Ces actes brutaux servent le propos de l'auteur et sont indissociables de ses personnages que l'on n'imagine pas agir d'une autre manière. Mais il y a aussi l'autre violence, celle plus sourde de l'indifférence, du mépris et de l'égoïsme allié à l'ambition qui font autant de mal que les coups. La férocité de ceux qui ont le pouvoir et l'argent envers ceux qui n'ont rien ou si peu.

Pour conclure, voici un excellent polar de JOB qui montre qu'il sait bâtir des histoires et des personnages forts, que son créneau n'est pas seulement les récits rapides dans lesquels le rythme prime. En le baissant un petit peu, il laisse voir un réel talent pour forger des personnages et les relations entre eux pour construire leurs histoires qui les amènent à commettre parfois l'irréparable ou à tenter de sauver ce qui peut l'être encore. Et tout cela en gardant un tempo qui fait que l'on est bien incapable de fermer le livre avant sa toute fin, ce qui reste quand même une très grande qualité de JOB.

Anne-Catherine Blanc

Noir Si Bleu

Conseillé par
17 novembre 2014

AC Blanc est une styliste hors pair. Quelle langue mes amis, quelle langue ! Riche. Métissée de mots de différents niveaux de langage. Unique, tiens, le tout début : "Chez nous, les rues de la nuit appartiennent aux furtifs, aux baveux, aux électriques. Elles appartiennent aux chats pelés qui bondissent des poubelles, crachoteurs d'injures chuintantes, griffes et dents jaillies du fourreau pour défendre la pauvre arête ou la tripaille fétide qui alimentera en eux jusqu'au lendemain la petite braise de vie, étique et obstinée.

Elles appartiennent aux ligues de chiens galeux, mangés de tiques, mais forts de leur nombre : masse protéiforme et grondante, capable d'attaquer l'ivrogne branlant ou de faire reculer le jouisseur clandestin filant à son plaisir, feutré, circonspect, concentré dans son effort pour noyer l'ombre qui le talonne dans l'ombre caressante des murs, un ton plus noire." (p.7) Poétique : "La Faena a un petit sexe humide et souriant, un petit coquillage rose corail, niché dans sa pelote d'algues douces. La Faena a des yeux d'obsidienne, des lacs volcaniques sans mémoire dans un visage de lave épuré, mais rigide, infiniment lointain, comme ignorant de sa propre histoire." (p.26) En plus de la beauté du texte, j'ai dû recourir avec bonheur une petite dizaine de fois au dictionnaire pour des mots rares, désuets ou recherchés ("mascaret", "purotins", "camard", ...) qui ne sont pas là pour épater la galerie, mais pour ajouter du plaisir de lecture.
Mais ce roman n'est pas qu'un exercice de style et s'il ne s'y passe pas beaucoup d'action pendant les deux cents premières pages il n'est est pas moins passionnant. Hip Hop observe les filles, les autres employés (barman et videur), dresse les portraits des personnalités les plus marquantes, leurs rapports, les jeux de pouvoir, de violence. Il passe inaperçu, fait partie des meubles et peut donc écouter et entendre et suit quasiment tout ce qui se passe dans la maison. Et lorsqu'il ne sait pas, il enquête, notamment pour savoir qui est le protecteur de la Mafalda la Prieure qui voudrait être cheffe et l'identité de l'amateur de jeune vierge qui menace la tranquillité des lieux. Car la Faena n'est plus vierge et la Mama fait tout pour le faire croire, si l'homme puissant qui la désire l'apprend, le pire peut arriver à l’établissement et à ceux qui l'occupent.
AC Blanc décrit également la vie sordide, la pauvreté dans une dictature qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. Ce qu'iceux sont obligés de faire pour survivre, le plus souvent la prostitution d'eux-mêmes et de leurs propres enfants (d'où l'absence de jeunes femmes vierges) : un chapitre est consacré à la manière dont la Mama a construit sa notoriété en exploitant cette misère avant d'en arriver à ce bordel miteux. Même si le roman est un quasi huis-clos, l'extérieur est présent dans les odeurs, les bruits, les chiens de l'aube qui fouillent les poubelles, les chats errants, le vent est là aussi, très présent, le vent purificateur, celui qui nettoie les odeurs et en rapporte d'autres.
Osez prendre le risque de lire un roman dont on ne parle pas dans les médias, un livre qui vous fera découvrir une plume sensible, précise, magnifique et des personnages forts qui résonneront longtemps en vous. Un coup de cœur pour moi !

Conseillé par
8 novembre 2014

Eric-Emmanuel Schmitt livre là sa version du carnaval des animaux, pas la musique, non, il garde l'oeuvre de Camille Saint-Saëns, mais écrit un texte, en vers, ceux qui existaient avant ne collaient pas assez à la musique selon l'auteur. Camille ne se trouve pas beau et ne plaît pas aux femmes. Un soir, il s'endort plein de bonnes résolutions pour remédier à cet état de fait et rêve. Trois superbes femmes apparaissent et comme un défi, lui demandent de leur rapporter des animaux. Camille préfère les faire vivre par sa musique. C'est alors un déluge de notes qui s'abat sur les trois femmes, subjuguées.


Au travers de cette histoire Eric-Emmanuel Schmitt insiste sur la création de la musique, explique des détails qui auraient pu échapper au profane que je suis et dans son texte léger et drôle pointe tout son amour de la musique en général et de ce carnaval en particulier que nous sommes nombreux à avoir écouté enfants. Son long poème est rythmé, quelques jeux de mots avec les noms des femmes, des tournures de phrases comiques, tout est fait pour plaire au plus grand nombre, comme la musique écrite par Saint-Saëns. Quelques airs me sont revenus en mémoire, d'autres pas. Certains animaux, tels le coucou, le coq ou l'âne sont quasiment immédiatement reconnaissables, d'autre moins, mais la musique est belle et le texte entraînant ou vice-versa. A ce stade, je dois une petite précision : un CD est offert avec le livre, le texte est lu par Anne Roumanoff, bon, ce n'est pas ma voix féminine préférée, mais on peut, en sélectionnant n'écouter que la musique, ce que j'ai finalement fait. La musique est "jouée par Pascal Amoyel et ses amis musiciens".
Le livre est richement illustré d'aquarelles de Pascale Bordet, vives, colorées, dynamiques, drôles, belles.
Pour résumer, un beau livre-CD à écouter et faire écouter aux grands et aux petits.

Version hallucinée de la Seconde Guerre mondiale

Christophe Lucquin éditeur

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8 novembre 2014

Felipe Polleri est fou -je crois que son traducteur et éditeur l'est tout autant, d'abord pour s'être lancé dans l'aventure de l'édition (à ce propos, pour survivre, il lance un appel à contribution sur la plate-forme Kisskissbankbank, il serait fort dommage qu'il disparaisse), ensuite pour choisir des textes originaux et décalés et enfin pour traduire Felipe Polleri de l'espagnol (Uruguay). Pas fou dangereux, enfin, je ne crois pas, non, il écrit des livres : L'ange gardien de Montevideo, Baudelaire. Ces deux derniers dont j'ai parlé ici même ne sont pas exempts de cette folie, tant celle de l'auteur que celle de ses héros. Allemagne, Allemagne ! est encore pire, si je puis m'exprimer ainsi. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Ou plutôt, je suis sûr de n'avoir pas tout compris. Mais ce n'est pas grave, le plaisir de lecture n'est finalement pas dans le sens de ce qu'on lit mais dans les sons, les mots, la poésie, la violence, la folie, ...

Felipe Polleri procède par images, par allusions, des noms glanés ici ou là nous aiguillent sur notre lecture -à condition de posséder un dictionnaire ou d'aller visiter Wikipédia ou tout autre site d'informations. Beaucoup de références au docteur Prinzhorn, psychiatre allemand et historien d'art, qui a notamment observé les dessins et œuvres de fous ; il en a tiré un ouvrage qui a enthousiasmé Paul Klee et les surréalistes. Fort heureusement pour lui, il est mort en 1933 avant que les nazis lui fassent des misères puisque son travail faisait parte de ce qu'ils appelaient l'art dégénéré. Abondamment cité, il soigne les différents narrateurs de ce livre, il peut être aussi considéré comme l'inspirateur -ou le psychiatre ?- de l'auteur, tellement son écriture pourrait se retrouver qualifier de surréaliste ou d'automatique. F Polleri fait appel aux Fantômes, aux Martiens aux Krak : "Les humains s'étaient croisés, des millénaires plus tôt, avec les insectes, pour créer les Krak qui, comme tous les maîtres, avaient violé durant des générations les adolescentes martiennes. Le Fantôme, débarqué par erreur sur la terre quand il avait cinq ou six ans, nous avait confondus avec les Krak, et en nous tuant, ne faisait rien de plus que de venger sa mère." (p.47)
En tant qu'Uruguayen, il ne fait pas l'impasse sur les nazis venus se réfugier dans son pays et plus largement en Amérique du Sud (cf. SS in Uruguay, de Serge Gainsbourg, dans son excellent album Rock around the bunker, que j'ai eu en tête après cette simple phrase, page 166 : "Il y a des nazis en Uruguay")
Les trois narrateurs, Christopher, Parsifal et Antoine sont fous, pour diverses raisons : "En parlant d'autre chose, ce sont peut-être les coups que papa m'a donnés au cerveau dans le plus tendre des âges qui m'ont rendu fou. Des connexions se sont sûrement brouillées, et j'ai dû en créer d'autres pour continuer à fonctionner..." (p.56/57), un autre a subi une opération, très jeune dans laquelle les chirurgiens ont "extirpé l'euphorie de vivre" et "installé la timidité dans un bloc opératoire clandestin et oxydé", une sorte de résultat des expérimentations de J. Mengele.

Difficile pour moi d'en dire plus sur ce livre totalement décalé, que malgré ma relative -ou totale- incompréhension, je n'ai pas pu abandonner avant la fin (même si pour être totalement honnête, la troisième partie m'a moins plu), captivé et fasciné que j'étais par le pouvoir de Felipe Polleri à faire naître des sensations, à toucher son lecteur. Un bouquin unique. Un très beau travail de traduction, de correction (Edith Noublanche) et de mise en page (maquette : Marylin Cayrac). Que les éditions Christophe Lucquin vivent, elles le méritent parce qu'elles nous font découvrir des textes que l'on ne lirait pas autrement.

Conseillé par
8 novembre 2014

Très très bon roman historique sur un cimetière qui a existé et qui fut vidé, ainsi que d'autres à Paris, les ossements furent alors emportés vers des galeries d'anciennes carrières souterraines, appelées depuis lors, Les Catacombes. Très bien documenté, c'est un roman passionnant qui énonce les conditions de vie de l'époque, juste avant la Révolution, lorsqu'on commence à parler de salubrité et de santé publiques.

Ce que l'on appellerait aujourd'hui les conflits d'intérêt sont aussi présents (comme quoi, nos politiques n'ont vraiment rien inventé), comme l'arrogance des grands envers les petits, surtout s'ils sont provinciaux, donc mal dégrossis. Le peuple travaille et vit dans ce quartier, proche des halles, c'est surtout une vie organisée autour du marché : beaucoup de commerçants et d'artisans. Ils vivent de peu mais plutôt bien. Jean-Baptiste arrive là, originaire de Bellême en Normandie, il découvre la vie parisienne, les petites rues, la verve gouailleuse des hommes et surtout des femmes. C'est un peu le Candide de service (Voltaire est mort à peine dix ans auparavant). Logé dans une famille respectable, il a d'abord du mal à se faire à l'atmosphère plombée par les odeurs émanant du cimetière, puis finalement s'y fait, devient ami avec Armand, l'organiste de l'église, avec Lisa la petite-fille du sacristain, tandis que Ziguette la fille de ses hôtes a quelques vue sur lui, un beau parti.
Pour ce sale boulot, Jean-Baptiste fait appel à un ancien camarade ingénieur comme lui avec qui il a travaillé dans les mines à Valenciennes. Il descend avec trente hommes mutiques, pour certains qui ne parlent que -très peu- flamand. Des gars qui bossent et ne demandent en retour qu'une paie, un peu de gnôle et quelques libertés quant à leurs déambulations parisiennes qui seront néanmoins très limitées. De cette trentaine, on ne retiendra que quelques noms, quelques visages et les yeux violets de l'un d'entre eux.
Ce roman fait la part belle aux personnages dans leurs difficultés, leurs contradictions, leurs questionnements. Les relations entre eux sont détaillées, parfois houleuses, parfois très fraternelles. Il y aura un net rebondissement au mitan de l'ouvrage qui ouvrira une seconde partie totalement différente, plus noire, à la fois plus intérieure pour le héros et plus extérieure également, enfin, il s'ouvrira aux autres en s'affirmant. Evidemment Jean-Baptiste a le premier rôle, mais Armand et d'autres surviennent, l'aident à se construire, à se forger. C'est comme souvent, un roman initiatique, celui d'un jeune homme un peu emprunté qui devient un homme en passant des épreuves parfois rudes.
Pour être complet, je me suis un peu accroché pendant les 50 premières pages, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire, une difficulté qui revient brièvement aux trois quarts du bouquin, mais tous les autres chapitres sont formidables (ce qui fait quand même 250 pages de très bonnes sur 300 !). L'écriture est très agréable, fluide, accessible, bien traduite (par David Tuaillon). Un pur plaisir que de lire ce requiem.

Les éditions Piranha signent là un fort bon roman, une deuxième bonne pioche pour moi chez eux après Carambole. Une belle couverture également, soigné, un plan de l'ancien paris, que l'on peut également voir en deuxième et troisième de couverture en plus détaillé et auquel, par pur curiosité, je me suis référé plusieurs fois.