Jostein

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Lectrice passionnée, mariée, mère de trois adolescentes. J'aime surtout les romans contemporains et je lis quelques bons policiers.

19,90
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17 décembre 2018

Érotique et politique

Zoé Valdés est une auteure qui accorde une place importante au corps, au sexe, au désir et voue un amour contrarié pour La Havane. Avec Désirée Fe, sa jeune héroïne, elle nous entraîne vers les ébats sexuels d’une adolescente, dans le plaisir charnel, dernier espace de liberté dans un pays aux nombreuses interdictions.

Désirée Fe doit sa naissance aux torrides ébats sexuels de ses parents. Quand elle suit un père pèlerin imaginaire, elle est sous le choc de l’arrestation de son père.

Adolescente, elle cherche la liberté auprès de Roman, son petit ami de dix-sept ans. Deux par deux, garçons et filles dansent sur les terrasses au son d’une musique interdite, fument, frottent leur corps sans jamais aller jusqu’au bout car chacun tient à respecter la virginité des filles.

Désirée Fe voudrait bien pourtant aller plus loin, elle aime Roman.

C’est avec Otto, un étudiant en génie civil dont le père est exilé aux Etats-Unis, qu’elle va aller plus loin dans la découverte des corps.

Avec ces jeunes filles en fleur pas si innocentes que ça et ces garçons débordant de testostérone, le récit de cette jeunesse est souvent torride. Âme pudibonde s’abstenir.

Mais la sexualité débordante de cette jeune fille s’affiche comme un dernier espace de liberté dans un pays où tout est ennemi, tout est interdit. Et c’est avec une Désirée Fe tiraillée entre amour et plaisir, attachée à son pays, celui qui retient son père, une jeune fille touchante et attachante que nous découvrons toutes les aberrations d’un régime politique. Les deux facettes s’imbriquent parfaitement pour donner un roman charnel et politique. L’environnement prend une place importante, justifiant les actes des uns et des autres.

Un très bon roman que je recommande à condition d’accepter les nombreuses scènes érotiques ( mais jamais vulgaires me semble-t-il) d’une jeunesse qui veut vivre pleinement en toute liberté

22,50
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27 novembre 2018

L’agréable absurdité de l’Amérique

Ces dix nouvelles écrites entre 1988 et 2017 mettent en scène des personnages, hommes ou femmes, en proie à leurs désillusions face aux aléas de la vie. Vieillesse, vie à l’étranger, désir d’enfant, assouvissement de sa passion, divorce, rêve américain, mariage forcé.
Utilisant un langage sans tabou, Jeffrey Eugenides met en évidence la complexité de la mentalité américaine. Toujours prêts à toutes les turpitudes, envieux de liberté et d’aisance, les personnages trouvent toujours face à eux la désillusion engendrée par la pudibonderie implacable de la société américaine.

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24 septembre 2018

Un bouc émissaire facile

Dans ce petit village corse, c’est le jour de l’enterrement d’Antoine Orsini, un homme que personne ne regrettera, surtout pas la mère Biancarelli crachant sur sa tombe. Elle a toujours vu en ce « mongole » l’assassin de Florence, sa fille retrouvée morte alors qu’elle n’avait que seize ans.

Mais c’est Antoine, le « baoul », l’idiot du village qui va nous raconter son histoire dans son langage de simple d’esprit. Et ce langage c’est bien sûr la force et l’originalité du récit. Dans la bouche d’Anto, tout est normal, évident, sans filtre. Aucun jugement, aucune colère. Sa famille l’a toujours rendu responsable de la mort de sa mère lors de l’accouchement. Son père, un alcoolique violent n’hésite pas à l’en punir. Il trouverait presque ça normal. Ses seuls amis et confidents sont une vieille institutrice bien trop vite disparue, une peluche et parfois la jeune Florence.

De l’enfance à l’âge adulte, chacun se joue de lui, le moque et bien évidemment l’accuse lorsque l’on retrouve le corps de Florence avec sa peluche dans les bois. Il fera quinze ans de prison. L’auteur déploie le récit gardant toujours le mystère sur les circonstances de l’accident.

Derrière la langue du baoul, Julie Estève peint la méchanceté envers un bouc émissaire. Les habitants de ce petit village corse ne sont pourtant pas irréprochables. Mais il est toujours plus facile de rejeter le mal sur un pauvre innocent. Un village malsain qui tue aussi l’innocence de Florence, jeune adolescente, prête à tout vivre ses rêves de liberté.
Bien évidemment, l’histoire du baoul et de Florence ne peuvent qu’émouvoir. Pourtant la langue du baoul ne m’y aide pas du tout. J’ai surtout ressenti de la pitié pour cet homme, regrettant l’insistance sur la saleté, la bêtise du personnage.
Le langage ne fut pas une originalité suffisante pour faire de cette simple histoire une lecture mémorable.

Ne préfère pas le sang à l’eau

Viviane Hamy

17,00
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4 août 2018

Percutant, sensible et éclairé

Belle découverte ! J’aime d’emblée cette écriture incantatoire, son sens de la tragédie et son regard lucide sur les problèmes actuels de société.
Rien de tel pour ouvrir les yeux que de s’inscrire dans un roman d’anticipation, de travailler ses personnages au plus près en les icônisant, de fondre ses messages dans une fable bien construite, à la fois concise et profonde.
Tout commence avec le mouvement et le désir. Trois cent « nez-verts » assoiffés arrivent à Cartmandua, avec dans le cœur « Cet espoir immense en la chance d’un autre destin, d’une opportunité, où tout sera aussi facile que le fait de tourner le robinet d’eau froide. Et boire.»
Mais le village tombe sous la dictature de Ragazzini, faisant exploser la citerne qui trônait comme un trophée de nantis. Installés dans leur confort, personne, hormis Pia, la mère de Thiego, n’a rien vu venir.
Le corps noyé de la jeune Karole, qui avait tant chéri la citerne à son arrivée symbolise la perte de tout espoir. Morte par ce qui devait la sauver. Les images sont fortes pour dénoncer l’inhumanité.
En alternance, nous découvrons Thiego dans la prison de Cartmandua. Le jour de l’explosion de la citerne, il avait appris la maladie de sa mère et décidé de combattre l’injustice avec ses armes, les mots. Dans la tête de Thiego passent toutes les difficultés de la vie en prison, le manque, les regrets, les amitiés et les trahisons. Il résiste en pensant aux mots des livres, aux mots qu’il taguait sur les murs. Il survit en pensant à sa femme, en écrivant son nom sur les murs de sa prison.
Avec ce roman d’anticipation, Céline Lapertot traduit remarquablement l’espoir et la peur des migrants, l’égoïsme des nantis. La force des mots évoque des images choc, symboliques. Le regard sur notre société est percutant, intelligemment glissé dans cette fable aux personnages d’une grande sensibilité.

19,00
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11 mai 2018

Tissage méticuleux pour un roman passionné

Paul et Amelia se sont croisés à l’hôtel Elisse. Héritière des lieux, elle y occupait à demeure la chambre 313. D’origine modeste, il y était gardien de nuit. Ensemble, ils fréquentaient le même cours à l’université, celui d’Anton Albers, la fille d’un sympathisant nazi. Elle les passionnait sur le thème de la ville de demain. Enfin, surtout lui qui avait besoin des études pour sortir de son milieu. Amelia n’en avait rien à faire. Anton était surtout l’ultime lien avec sa mère, la poétesse, Nadia Dehr.

Avec un père absent, Amelia a toujours souffert de la fuite de sa mère, partie œuvrer pour la paix à Sarajevo quand elle n’avait que dix ans. Et c’est pourtant le même schéma qu’elle va reproduire.

Amelia, rousse flamboyante, jugée provocante pouvait aussi être aussi attentive et passionnée avec Paul. Etait-il si charmant qu’on pouvait lui briser le cœur?
Amelia ne peut pas être amoureuse, ce serait une façon de ne pas vivre. Elle choisit la fuite puis revient encore plus fragile, meurtrie. La maternité la terrasse définitivement, elle, aussi ira chercher l’effondrement où il se trouve, à Sarajevo. Elle se trouve mieux « dans la guerre, qui elle au moins est franche. »

Paul élève seul la petite Louise. Il ne lui parlera pas de sa mère, tout comme son père ne lui disait rien du pays d’où il venait.

Paul devient un père protecteur, inquiet. Peut-être à cause de cette hérédité qui éloigne les femmes de la lignée. Mais on ne tient pas les oiseaux en cage.

Jakuta Alikavazovic jalonne son récit d’idées qui reviennent harmonieusement. Il y a cette lumière bleue des cités, les drones, les cheveux courts des femmes, les matières toxiques des couvertures, les écrits des mères, les oiseaux, la chemise d’homme…Des choses parfois insignifiantes qui reviennent dans les vies des différents personnages et donnent de la lumière et de la magie à un récit qui peut parfois paraître sombre et complexe. Il faut dire que l’auteur brode autour de nombreux thèmes.
Bien sûr, la passion amoureuse. Si l’amour fou de Paul est subtilement décrit, celui d’Amelia, plus complexe est aussi touchant.
Mais l’auteur illustre aussi les relations parents/enfants sous de nombreuses facettes.
Et puis, la ville et ses peurs, le racisme, la guerre, la destruction des ressources naturelles, la différence sociale, la solitude de l’enfant unique, l’adolescence, la manipulation d’informations…chaque thème ne prend vie que le temps d’un exemple mais s’insère parfaitement dans une globalité parfaite.

L’avancée de la nuit est un roman multiple, un roman d’une grande richesse, un roman attachant qui prend toute sa mesure dans sa globalité avec une ambiance qui me restera au corps longtemps après ma lecture.