L'écrivain de la famille, roman

Grégoire Delacourt

JC Lattès

  • Conseillé par
    5 avril 2012

    Pour avoir écrit un petit poème à sept ans, Édouard est considéré comme un prodige par ses parents. « En quatre rimes pauvres, j’étais devenue l’écrivain de la famille. À huit ans, je n’avais plus rien à dire. » (P. 14) Le génie a fui aussi vite qu’il était venu, mais personne ne comprend pourquoi l’enfant, puis l’homme n’écrivent pas un chef-d’œuvre. Tendue vers cette réussite, c’est toute une famille qui s’épuise et finalement se déchire, lasse de n’avoir pas parlé, lasse de ne pas avoir ouvert son cœur au-delà du vœu fou de faire de l’enfant une merveille. « Nous devenions muets. Ce qui est un comble pour une famille qui comptait son propre écrivain. » (p. 32)


    La famille, c’est le père que tout le monde appelle Dumbo. C’est la mère, l’amante, superbe femme qui s’étiole dans une vie étriquée. C’est Claire, la sœur qui rêve du prince charmant. C’est le frère à la voix d’ange qui déploie ses ailes attardées. Et c’est Édouard, celui dont tout le monde attend un miracle, le miracle de l’écriture. Mais l’enfant le comprend avant les autres : il n’a pas de talent. « Les rêves des autres nous damnent. Aux chiottes ! » (p. 48) Alors qu’il aimerait guérir le monde et les siens avec l’écriture, il lui semble qu’il ne fait que les blesser.
    Adulte, Édouard trouve plus ou moins sa voie : il devient publiciste et maître dans l’art de créer des slogans et des campagnes efficaces. Mais voilà, ce n’est pas écrire, pas vraiment, pas comme les autres le voudraient, ni comme lui en rêve. « À vingt-neuf ans, je vivais de ma plume. Mais je m’étais trompé d’encrier. J’écrivais, mais je ne guérissais pas. » (p. 202) Et tout le reste autour de lui capitule. Ses parents divorcent, sa sœur est abandonnée par l’homme qu’elle aime et lui-même vit un mariage amer. Se posent alors les questions de l’amour, filial et autre, de la lâcheté, du mensonge et du silence. C’est comme si la vie s’appliquait méticuleusement à rompre les liens, comme si rien ne permettait l’union véritable et le bonheur. « Quand on est très petit, la longueur des bras permet juste d’atteindre le cœur de ceux qui nous embrassent. Quand on est grand, de les maintenir à distance. » (p. 140) Ou alors, pour être heureux, il faudrait peut-être arrêter d’être ce que les autres attendent et choisir enfin ce que l’on veut être, d’assumer ce que l’on est.
    Les années 1970, 1980 et 1990 défilent et Grégoire Delacourt propose en filigrane la chronique de décennies déjà mythiques. Des chansons, des films, des livres et des noms célèbres parsèment la page et entraînent le lecteur dans la course folle du temps qui passe. Dans ce roman, le name-dropping est artistique, dosé, intelligent. Ce n’est pas l’écœurante énumération du publicitaire, ce sont les indices d’une chasse au trésor : Édouard (Grégoire ?) les collectionne comme les précieuses reliques de l’enfance, cet instant si court qu’il n’a cessé de voir s’éloigner. « Il faut avoir vu ses parents se battre pour comprendre qu’un enfant puisse avoir envie de mourir. » (p. 35) Entre rimes faciles et incises complices, Édouard/Grégoire joue avec les mots et les choses. Une fois qu’il aura assez joué, il saura où il en est.
    L’écriture déborde d’ironie triste et de résignation dolente. Mais pas de pathétique dans ces lignes, le héros avance toujours, même s’il se débat. Son père lui avait donné un conseil pour faire fructifier son don : « Laisse les choses s’écrire » (p. 15) Finalement, c’est encore ce qui marche le mieux pour écrire le plus beau des romans. L’écrivain de la famille se lit avec émotion et tendresse. Ah, que l’on aimerait serrer tous ses personnages contre nous, leur dire qu’il suffit d’un mot ! Mon mot de la fin est pour l’auteur : merci.


  • Conseillé par
    15 janvier 2011

    À sept ans, Edouard écrit son premier poème. Quatre rimes qui se battent en duel mais la gloire vient de frapper. C’est officiel ! Pour sa famille, il est écrivain. Deux ans plus tard, les mots ne viennent plus. Les années passent, sa famille s’effiloche et son grand roman ne voit pas le jour. Edouard n’a peut être pas un talent d’écrivain mais les portes du monde de la publicité s’ouvrent à lui. Celui qui était destiné à devenir un grand de la littérature porte son échec et écrit l’histoire des siens.


    Plongeon dans les années 1970, on respire la fumée des gitanes tandis qu'Edouard, 7 ans, écrit un poème naïf. Quatre rimes bien pauvres lui valent d’être affublé du titre d’écrivain de la famille. Mais deux ans plus tard l'inspiration l'a déserté. Lui qui aime jouer avec les mots ne trouve plus de rime. Les disputes des parents sont fréquentes, son père côtoie la dépression depuis son retour de la guerre d'Algérie. La vie continue malgré tout. Son père a refait sa vie, son frère emmuré dans son monde est placé dans un institut et Edouard a toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Hélas, sans talent, il est bien difficile de devenir écrivain. Même si son "grand" roman n'est pas édité, Edouard réussit à se faire une belle place en tant que publicitaire.
    Le ton du récit change, les jeux de mots et l’humour font place à plus de sensibilité. La famille d'Edouard se disloque un peu plus. Et lui, il essaie d'avancer malgré son mariage bancal et le poids de l'échec.La culpabilité de n'avoir pas été à la hauteur aux yeux de ses parents le ronge. Je n'en dis pas plus...

    Une écriture limpide, entraînante pour parler de ce qui fait mal et l'histoire de cette famille m'a "parlée" ! Le parcours d'Edouard est entaché de quelques erreurs et nous rappelle que nous en faisons tous. Seul petit bémol mais je titille, j'ai trouvé qu'il y avait trop de vrais slogans publicitaires ...

    En conclusion, il s'agit d'un premier roman drôle mais surtout sensible et émouvant ! Un auteur à suivre de près ...