Retour à Yvetot

Annie Ernaux

Éditions du Mauconduit

  • Conseillé par
    18 mars 2014

    En octobre 2012, Annie Ernaux revient à Yvetot la ville qui l’a vu grandir pour y donner une conférence "En acceptant cette fois l’invitation de la municipalité, j’ai accepté en même temps de m’expliquer devant le public le plus concerné qui soit, celui des habitants d’Yvetot, et choisi d’évoquer ce lien qui unit ma mémoire de la ville et mon écriture". Car "Yvetot est le matériau fourni par la mémoire mais utilisé, transformé par l écriture en quelque chose de général". Dans cette conférence, Annie Ernaux revient sur la place importante de la lecture, de l’écriture et des différences entre les classes sociales. Le sentiment de honte éprouvé envers ses parents et son milieu d’origine (où la culture était inexistante) est en filigrane et a été développé dans plusieurs de ses livres. Elle revient sur "le transfuge de classe" expliquant son cheminement entre la langue apprise lors de ses études et celle refoulée. Des photos ( celle du père d'Annie Eenaux posant en 1959 près de sa voiture " on se fait photographier avec qu'on est fier de posséder " m'a rappelée des photos identiques vues dans des albums de famille) complètent ce livre ainsi qu'un entretien avec Marguerite Cornier.

    Forcément, ce livre a résonné en moi car le sentiment de honte n’a que faire des générations. Et comme à chaque fois que je lis cette auteure, je me suis retrouvée...

    "Retour à Yvetot" ne s’adresse pas qu’aux lecteurs avertis d'Annie Ernaux tout en éclairant un peu plus son oeuvre et son travail, il ne peut que donner envie de découvrir cette grande dame de la littérature !


  • 27 mai 2013

    L'écrivain et son territoire est un thème qui a accompagné mes années d'études supérieures. Grande admiratrice du talent d'Annie Ernaux, auteure que j'affectionne tout particulièrement, puisqu'elle fut mon enseignante de lettres, puis ma collègue par correspondance, c'est avec grand plaisir que j'ai ouvert cette nouvelle parution aux éditions du Mauconduit.

    Retour à Yvetot est la transcription d'une conférence donnée le 13 Octobre 2012, à Yvetot, par Annie Ernaux. Au delà d'une évocation des souvenirs d'enfance, Annie Ernaux développe le phénomène de transformation de ces souvenirs en matériau pour une oeuvre de portée universelle.

    L'auteur, depuis la première publication Les Armoires vides (1974) n'est jamais revenue en tant qu'écrivain sur les lieux de son enfance. Pourquoi? "Simplement parce qu'elle [la ville d'Yvetot] est, comme ne l'est aucune autre ville pour moi, le lieu de ma mémoire la plus essentielle, celle de mes années d'enfance et de formation, que cette mémoire-là est liée à ce que j'écris, de façon consubstancielle. Je peux même dire: indélébile".

    L'auteure évoque ce lien qui unit sa mémoire de la ville à son écriture. Une mémoire de la ville fortement marquée par l'Histoire, de l'automne 1945 aux Trente Glorieuses. Elle dessine les contours de la ville, qui n'ont jamais existé matériellement mais étaient bien réeles dans le langage "je vais en ville". Se rendre sur un territoire qui n'est pas vraiment celui de la famille Ernaux, là où le culte de l'apparence est à son apogée. C'est "le territoire où, parce qu'on croise le plus de monde, on est le plus susceptible d'être jugé, évalué. Le territoire du regard des autres et donc, parfois, le territoire de la honte."

    Elle évoque tour à tour son quartier, son école du pensionnat Saint-Michel, là où elle découvre que l'odeur de l'eau de Javel n'est pas seulement synonyme de propreté mais représente aux yeux de ses camarades, l'odeur de la femme de ménage, le signe d'appartenance à un mileu très simple.

    Les passages sur la lecture comme source d'évasion et de savoir nous montrent à quel point il est difficile de faire entrer les livres dans le milieu social où elle évolue. Disposer d'une bibliothèque apparaît comme "un privilège inouï".

    On évolue au fil des pages en suivant la transformation de l'auteure par la culture, et par le monde bourgeois dans lequel son mariage la fait entrer.

    Comment la petite fille de la rue du Clos-des-Parts, immergée dans une langue parlée populaire va-t-elle écrire, prendre ses modèles, dans la langue littéraire acquise, apprise, la langue qu'elle enseigne puisqu'elle est devenue professeur de lettres? C'est ce cheminement qu'invite à découvrir ce joli livre paru aux Editions Mauconduit (Mai 2013).

    "Tout écrivain, même quand il invente une histoire, se fonde sur sa mémoire."