Un goût de cannelle et d'espoir

Sarah McCoy

Les Escales

  • Conseillé par
    3 avril 2015

    Un goût de passé

    Il y a des romans qui donnent faim, au sens propre du terme. Le roman de Sarah McCoy en est un bel exemple. Il se passe dans et autour d'une boulangerie- pâtisserie. A la page 19, on nous a déjà donné à choisir (enfin pas à nous précisément, mais à l'héroïne Reba) entre toutes sortes de pains, de tartes, de pâtisseries danoises et de gâteaux allemands. Pitié! Mais Sarah McCoy n'en aura aucune... Son roman nous promène entre deux époques (la deuxième guerre et aujourd'hui), deux pays (les Etats-Unis et l'Allemagne)... et deux boulangeries (celle des parents Schmidt, puis de leur fille). Les Schmidt sont une famille d'Allemands moyens, fascinés par le nazisme et ses promesses, au point que leur fille aînée, Hazel, a été choisie pour faire partie d'un " Lebensborn ": des femmes sont triées sur le volet, puis engrossées par de purs Aryens pour créer un peuple parfait. Elles doivent ensuite abandonner leurs enfants aux autorités pour qu'ils soient élevés selon les préceptes nazis. Elles ne les reverront plus jamais. La sœur cadette, Elsie, vit toujours avec ses parents, sous la protection d'un officier nazi tombé amoureux d'elle. Elle va pourtant se trouver confrontée à un cas de conscience, lorsqu'elle trouve un enfant juif sur le point d'être embarqué si elle ne le cache pas....

    Des années plus tard, la même Elsie a émigré au Texas, près de la frontière mexicaine. Et Reba, une jeune journaliste, vient l'interviewer sur les Noëls allemands. Cette simple question va faire resurgir le passé.

    Sous ses allures de grande saga, Sarah McCoy soulève de nombreuses questions. Car si le nazisme appartient au passé, l'état du Texas continue à renvoyer sans autre forme de procès des Mexicains qui ont risqué leur vie pour en changer. Et que faire? se demande Riki, chargé de réexpédier ces familles chez elle alors que lui-même, il y a quelques années de cela, a quitté le Mexique pour trouver refuge aux Etats-Unis.

    " Un goût de cannelle et d'espoir " est le deuxième roman de Sarah McCoy, mais le premier à être publié en français. Elle vient de terminer le troisième. Tout cela pour vous dire qu'on n'a pas fini d'entendre reparler d'elle. Et c'est une excellente nouvelle.

    Pour mieux connaître Sarah McCoy, son site est très bien conçu: http://sarahmccoy.com

    Lire la suite de la critique sur le site o n l a l u


  • Conseillé par
    25 mai 2014

    Pour les besoins d'un article, Reba Adams, journaliste à El Paso, se rend dans la boulangerie allemande que tiennent Elsie Meriwheter et sa fille Jane. Au milieu des brötchen, des schaumküsse et autres lebkuchen, des confidences vont être échangées. Car, même si Reba est réticente, elle comprend vite qu'il va falloir se livrer elle aussi si elle compte obtenir un peu plus que des banalités sur les traditions de Noël en Allemagne. Malgré elle, la jeune femme ne peut s'empêcher de revenir encore et encore dans cette boutique chaleureuse où elle est accueillie en amie par les odeurs de pain frais et de cannelle et la bonne humeur des propriétaires. Mais comment pourrait-elle raconter une enfance auprès d'un père vétéran du Vietnam traumatisé et d'une mère qui voulait envers et contre tout sauver les apparences ? Comment s'ouvrir aux autres, prendre le risque de les aimer alors qu'elle a vu les ravages de l'amour chez sa mère ? Comment parler de sa relation avec Riki, un homme qui l'aime, qui veut l'épouser et qu'elle fait souffrir par peur de souffrir elle-même ?

    Au contact d'Elsie, si simple et si douce, Reba se métamorphose tout en découvrant la vie de la vieille dame. En 1944, Elsie Schmidt avait 16 ans et travaillait aux côtés de ses parents dans la boulangerie familiale à Garmisch, petite ville des Alpes bavaroises. Sa sœur Hazel avait rejoint un lebensborn pour y mettre au monde les enfants de la patrie. Le régime nazi imposait ses lois, la guerre ses restrictions et Elsie assistait à son premier bal au bras d'un officier SS ...

    Les Schmidt étaient allemands, ils aimaient leur pays et faisaient confiance au Führer. Bien sûr la guerre mettait l'Allemagne à feu et à sang, bien sûr les juifs de Garmisch étaient emmenés, leurs bien réquisitionnés mais il y avait tant d'espoir, de joie et d'optimisme pour un avenir meilleur qu'on fermait volontiers les yeux. Pourtant Elsie ne peut s'empêcher de se poser des questions. Les hommes de la Gestapo lui semblent violents et sans scrupules, les lettres de sa sœur prennent une tournure de plus en plus pessimiste et Tobias, l'enfant juif qui a chanté comme un ange au Noël nazi mérite-t-il le triste sort qu'on lui réserve ? Plus que la fierté d'appartenir à la race supérieure, c'est la peur qu'elle ressent au fond de son cœur, mais aussi une envie d'autre chose, loin des souffrances et des lois iniques.
    Le respect des lois, Riki en a fait son credo. Et son métier aussi. Il surveille la frontière entre les États-Unis, son pays, et le Mexique d'où déferlent des vagues de clandestins prêts à tout pour un morceau du rêve américain. Ses parents aussi ont émigré, mais légalement, après des années de patience pour obtenir un visa et, plus tard encore, une nouvelle nationalité. Alors les lois doivent être les mêmes pour tout le monde et ceux qui l'enfreignent sont renvoyés vers la misère et la violence. Pourtant, petit à petit, ce discours bien intégré se délite. Il y a plus en plus de femmes et d'enfants qui tentent la traversée de la frontière. Méritent-ils le traitement que leur infligent les lois sur l'immigration ? Sont-ils des voyous parce qu'ils aspirent à une vie meilleure ?
    Le tour de force de Sarah McCoy est de nous présenter des personnages qui ne sont jamais dans la caricature. L'officier SS n'est pas un monstre sanguinaire et antisémite qui tue sans se poser de questions, les allemands ne sont pas le peuple belliqueux qu'on nous décrit trop souvent. Et même les ''gentils'' n'agissent pas toujours par pure bonté d'âme, poussés plutôt par la force des choses et hésitant sans cesse entre le désir de protéger un inconnu ou sa dénonciation pour protéger sa propre famille. Le système nazi endoctrinait le peuple dès le plus jeune âge et laissait peu d'options à celui qui y était réfractaire. Il fallait beaucoup de courage pour s'opposer à un régime qui tuait ses ennemis à tour de bras.
    L'auteure fait-elle un raccourci qu'on pourrait trouver cavalier entre le modèle érigé par Hitler et le système mis en place par les États-Unis pour contrôler son immigration ? Sans doute puisqu'il n'y aucune comparaison possible entre les camps d'extermination nazis et le refoulement aux frontières des clandestins. Alors peut-être a-t-elle voulu exprimer son sentiment d'injustice devant les souffrances d'aujourd'hui...L'essentiel n'est pas là, Reba et Riki étant finalement des personnages secondaires qui s'effacent devant Elsie et sa famille qui ont traversé l'Histoire et son lot de malheurs. Pourtant, il en ressort la flamme de la bonté humaine et l'empreinte d'une jeune fille volontaire et courageuse qui deviendra une femme sûre de ses choix et de ses priorités.
    Une belle saga qui traverse les années de guerre et de violence en faisant la part belle à l'humanité et fait venir les larmes aux yeux tout en évitant la mièvrerie. Le sucre est bien présent, mais il reste dans les pâtisseries allemandes que préparent Elsie, son père avant elle et sa fille avec elle. Beaucoup d'émotion, le souffle de l'Histoire, des personnages attachants, et un voyage de 1944 à 2008, de la luxuriance bavaroise à l'aridité texane, pour un roman fabuleux, à lire absolument. Un immense coup de cœur que je dois au club de lecteurs Dialogues croisés. Un grand merci à ceux et celles qui le font vivre.