Roman d'un regard. L'atelier de Michel Mousseau

Vous êtes venu sans autre intention que celle de voir. Vous avez oublié que voir est un acte parce qu'il s'accomplit d'ordinaire avec facilité, dans le fil de vos mouvements ou dans celui de votre parole. Vous pouvez d'ailleurs faire en sorte que cet acte continue à aller de soi puisque vous savez d'avance de quoi il retourne et qu'après tout un tableau est un tableau. Vous voici devant l'un de ces objets : il se compose très normalement d'une surface et d'aplats de couleurs, en vérité de larges bandes verticales disposées sur deux rangs, celui du bas deux fois plus étendu. Vous avez formulé ce constat très vite pour vous-même, et vous savez que c'est une façon de vous rassurer en ramenant ce qui est devant vous a du déjà connu. Vous pourriez à présent vous en tenir là, quitte à prononcer un éloge de l'harmonie colorée, ou à proclamer votre surprise en découvrant de la finesse et des nuances dans ce qui paraissait une couche unie, mais à peine avez-vous entrevu cet état de la matière peinte qu'elle agit sur vous, si bien que voir est tout à coup un acte ressenti et qui vous engage. Le savez-vous ? Pas encore, peut-être, sinon votre étonnement s'agrandirait de la pensée qu'il n'en va pas des choses comme des nuages, qui ne sont là qu'un instant puis passent pour toujours. Vous savez alors que, devant une chose aussi particulière et aussi peu passante que ce tableau, vous ne savez rien. Vous avez le désir d'aller dans le sens de ce non-savoir, qui vient de jeter un grand silence en vous – et votre langue y titube parce qu'elle ne trouve pas les mots qui conviennent à cette nouveauté.”