La mémoire délavée

"Je rêve d'un livre qui dirait le passé, le présent et tout ce qu'il y a entre" écrit Nathacha Appanah. Un livre qui ne sera pas un roman. Cette "mémoire délavée" est là pour dire ses grands-parents et avant eux ses aïeuls. Ceux qui décidèrent un jour de quitter leur village indien de Rangapalle dans l'État de l'Andhra Pradesh pour une traversée de sept semaines sur le "kala pani" (qui signifie '"l'eau noire" et qui représente l'Océan Indien - un interdit religieux). En débarquant sur l'Ile Maurice, ils devinrent aussitôt des numéros et travaillèrent dans les champs de canne à sucre. C'est la période de l'engagisme, un système de travail sous contrat mis en place dès 1830 par les Européens pour pallier le manque de main d’œuvre après la libération des esclaves. Une émigration organisée que le grand public a fini majoritairement par oublier.
Alors, malgré tout ce qui a été tu, par honte, par pudeur, parce que le temps a effacé les souvenirs, l'autrice remonte le temps. En partant de l'année 1872, date d'arrivée de ses trisaïeuls et de leur fils. Avec elle, on s'attache à ce que l'Histoire a bien voulu laisser comme trace pour combler les incertitudes et puis vient le temps des souvenirs vécus, de ses grands-parents avec lesquels elle a vécu. Décédés respectivement en 1996 et 2007, ils étaient les derniers témoins d'une époque révolue et Nathacha Appanah nous les rend vivants avec beaucoup de justesse, d'amour et de délicatesse en marchant en équilibriste sur le fil de l'écriture et des souvenirs qu'elle veut dignes de ce qu'ils furent.

Publié dans la collection Traits et portraits, ce livre nous emmène sur les traces des ancêtres de la romancière venus d’Inde lors de l’engagisme, un détail de l’Histoire que je ne connaissais pas.

J’ai aimé la mémoire défaillante des souvenirs des anciens, les archives qui ne donnent que des noms et des chiffres mais ne disent rien des personnes, de leurs émotions, de leurs pensées.

J’ai aimé découvrir le grand-père et la grand-mère de Natacha, l’erreur du grand-père qui lui confère son caractère et son maintient si particulier.

J’ai aimé la ténacité de sa grand-mère devant la maladie de son fils.

J’ai aimé que le souvenir du grand-père devienne de plus en plus fort et brillant au fur et à mesure des souvenirs.

L’image que je retiendrai :

Celle des fleurs à foison présentent lors du mariage et de la crémation des grands-parents de la romancière.

À travers cette Mémoire délavée, Natacha Appanah revient aux sources de sa famille, de sa culture, de la tradition qui fonde toute son éducation et sa source de vie, malgré l’exil et l’esclavage vécus. Un roman tendre où le vol d’étourneaux révèle ce que le passé apporte au présent.
Suite de la chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2023/09/21/natacha-appanah-la-memoire/