Il arrive souvent qu'on ouvre un livre un peu au hasard, parce que la couverture est belle, qu'on aime bien cette maison d'édition et qu'une personne avertie vous a dit : "Va voir !". Il arrive parfois, mais rarement, que les premières lignes vous surprennent, vous déstabilisent et puis vous intriguent et finalement vous aspirent discrètement. Sans vous en apercevoir, vous voici rendu à la moitié du livre. Peut-être est-ce la magie de "Shamane" ? Une chose est sûre, Graciano a un talent à part. En lisant son livre, vous serez propulsé dans la peau d'une femme solitaire qui vit dans son camion aménagé et se déplace dans la nature au gré de ses envies. Une immense sensation de calme vous traversera alors. Peut-être est-ce dû à ces courts chapitres qui vous racontent en un seul souffle, en une seule phrase, des moments de la journée de cette femme intrigante. Graciano est un orfèvre de la langue, grâce à lui vous serez elle. Bien installé dans votre transat au pied de votre camion en sirotant un thé rouge ou en buvant un rosé frais, vous admirerez un horizon vous faisant penser au corps d'une vache ruminant paisiblement, vous écouterez le chant d'un couple de chardonnerets, vous dégusterez des huitres sur le capot de votre camion, vous vous unirez au corps voluptueux d'une autre femme, vous attraperez des truites à mains nues ... Une lecture étrange, envoûtante, ensorcelante. Méfiance ! Graciano est un enchanteur machiavélique et il pourrait bien vous surprendre !

Après avoir passé l’hiver dans leur yourte, Anouk et Raphaëlle décident de s’installer à la Ferme Orléane, un endroit où elles vont apprendre le vivre-ensemble, les mains dans la terre. Mais la vie en communauté n’est pas un idéal pour Anouk qui décide de partir. Elle retourne dans sa cabane au Kamouraska pour quelque temps, entourée par cette belle nature, elle se ressource. Très vite, son chemin croise à nouveau celui de Riopelle, militant écologique avec qui elle a eu une relation passionnée par le passé.
Rejoints par Raphaëlle, ils intègrent tous les trois l’opération Bivouac. Ensemble et accompagnés de tout un groupe “ d’éco-warriors ”, ils vont se donner corps et âme pour la protection de Gros Pin et des forêts des alentours qui risquent d’être rasées au profit de l’installation d’un oléoduc.
"Bivouac" vient clôturer un triptyque écologique où poésie, amour et nature s’entremêlent. Dans ce dernier roman, on retrouve les trois personnages présents dans “Encabannée” et “Sauvagines”. Ensemble, leur lutte commune pour protéger la nature prend sens. Gabrielle Filteau-Chiba signe un roman engagé, avec pour cœur la défense de l’environnement.

Quand on est médecin, père de deux adolescents dont la racine latine des prénoms signifie « joie » (Laetitia) et « chance » (Félix), qu’on est marié avec une avocate prénommée Blanche, qu’on vit dans un bel appartement du centre-ville lyonnais bien entretenu grâce à Nadia qui fait le ménage tous les matins et qu’on revient en voiture d’un séjour estival breton en famille comme Étienne Baron, on peut être satisfait de la route parcourue. Étienne est fatigué mais empli d’un mélange de sérénité et de confiance tandis qu’il franchit le dernier péage. Plus que sept minutes avant d’arriver enfin. Et puis, à la sorte d'un tunnel, en un instant l'équilibre bascule : la présentatrice radio interrompt le programme pour annoncer la mort de Jean-Jacques Goldman. Quelque chose à l’intérieur d’Étienne s’effondre silencieusement. La disparition de l’idole de son adolescence marque la fin d’une histoire – « une histoire liée à mon enfance, à mon milieu d’origine, village et famille, à tous les miens ». Ce n’est pas un chœur qui entame ce requiem, c'est une citation du Livre de Job puis un homme de quarante-cinq ans, soudain seul, qui oscille entre autodérision et vague à l’âme, qui se réveille, qui s’éveille même, peut-être... Pendant plusieurs jours, de l'annonce de la mort du chanteur à l'hommage national qui lui est rendu, Étienne dérive et le lecteur avec lui. C'est effrayant de découvrir que ceux qui nous entourent ne sont peut-être pas ceux qu'on croyait, c'est effrayant et cela prête à sourire aussi. C'est cette impression qui s'empare du lecteur, on a envie de se moquer un peu de cet homme mais on sait aussi que nous lui ressemblons tous un peu ...

En 2030, au Canada, les catastrophes naturelles se multiplient. Des réfugiés climatiques viennent des États-Unis. Ils sont accueillis avec hostilité par les autorités. Un monde presque dystopique mais peut-être pas si éloigné du nôtre, dans lequel Zoé essaie de trouver sa place. Elle vit à l’orée de la forêt canadienne et son travail consiste à chasser. Mais que chasse-t-elle exactement ? Elle a surtout une obsession : retrouver son fils, Nathan, disparu il y a six ans. Elle est persuadée qu’il est là,
quelque part. Que l’immensité de la forêt l’a englouti. Pour mener sa quête, Zoé doit reconstituer son histoire. Issue du peuple autochtone algonquin, elle porte en elle des siècles de violence, qui cherchent un chemin pour s’exprimer. Et enfin, peut-être, s’apaiser. Mais pas avant d’avoir retrouvé Nathan.
Une tension se met en place dès le début du roman et s’accélère au fil des chapitres. La forêt canadienne est envoûtante : refuge pour certains, terrain hostile pour d’autres. Un roman palpitant !

Ce soir-là, Juliette, élève brillante de terminale, perçue méchamment par ses camarades de classe comme une sainte nitouche, lit tranquillement sur son lit, dans sa chambres aux murs roses, lorsqu'une douleur au ventre la transperce. Après s'être forcée à respirer et se calmer, Juliette se sent mieux et renonce à prévenir sa mère Agnès. Une mère attentive à laquelle elle fait pourtant vivre un enfer, sans une certaine culpabilité tout de même. Et puis la douleur est là. À nouveau. À tel point qu'elle ne peut retenir un cri aigu qui alerte sa mère. Son ventre est comme une pierre. Affolée, Agnès décrète que c'est l'appendicite et emmène sa fille aux urgences.
Ni Juliette, ni ses parents, ni sa sœur Chloé ne s'en sont aperçu mais le corps de l'adolescente a résisté longtemps. Désormais c'est un corps à corps qui se livre, la poche des eaux rompt, l'enfant caché révèle sa présence brutalement. Il est l'Autre, celui qu'elle n'attendait pas, celui dont elle ne veut pas. Terrifiée par le lendemain, sidérée, l'adolescente commence par partir à la dérive sous le regard impuissant de sa famille qui voit leur lycéenne tyrannique se transformer en fantôme. Doucement, quelque chose, quelque part, se rallumera peut-être.
Sans jamais se perdre dans la facilité, le temps d'un été, dans un souffle, Hélène Machelon, raconte avec humanité et lucidité l'histoire d'une lutte faite d'intériorité, de silences et d'amour. Le sujet était risqué, l'autrice réussit à le mettre en lumière avec beaucoup d'émotion et une grande finesse psychologique.